Un électron isolé français s’est mis en tête de réaliser le disque psychédélique ultime. Rock, surf, wall of sound, sitar, BO easy listening et électro crade : tout y passe. Cet énorme clafoutis baigne dans l’opium.


Voilà l’archétype du disque OVNI : rock psychédélique ou champignon électro hallucinogène ? Juan Trip porte en tout cas bien son nom. Juan Trip, alias Basil pour les plus intimes, c’est avant tout un érudit, un musicologue qui ne se limite pas aux prémisses de la House mais connaît par coeur les tables de loi du rock. Ce DJ made in France n’a rien d’un de ces rats parisiens qui traînent dans les rues obscures des Halles et se contentent de dénicher le vinyle « In » chez quelques disquaires « tendance ». En véritable féru de virées soniques 60’s, on se plaît même à penser que le Morrissey des Smiths serait capable de prendre Juan Trip dans ses bras plutôt que de le pendre.

Comme bien des musiciens issus du rock, Juan Trip a retourné sa veste (ou son perfecto) au moment de l’explosion Techno et des Rave, cette mouvance musicale que tout le monde considérait comme l’avenir de la musique et qui finalement s’avéra très rapidement encore plus passéiste que le Flower Power. Sur son parcours, le versaillais a traversé diverses quêtes initiatiques dignes d’un scénario de Jodorowsky : jeunesse dans une famille hippie, rébellion punk adolescente, tour de France version « combat rock » jusqu’au virage Techno à l’aube des années 90. Mais ce n’est pas tout, Juan Trop multiplie aussi les casquettes professionnelles : musicien, auteur, compositeur, réalisateur de documentaires-vidéo, clips et enfin patron de son label Sixty None Rockhorde.

Son premier single paru en 93, “Extasy is God” était déjà tout un programme, une sorte d’Hawkind cybernétique propulsé par des tempi électrocutés. Trois ans plus tard, Laurent Garnier remarque cet énergumène et le signe sur F-Com. Après une poignée de singles et remixes, Juan Trip disparaît en 1999 suite à une ultime overdose acid-rock-technoïde sur son LP Balmy Under the Stormy. Dépité par le peu d’attention portée à son oeuvre ambitieuse, Juan Trip se retire tel un Jospin au lendemain du 21 avril 2002. Il exécute alors son second plan machiavélique : s’envoler sur la planète mars. Durant son exil marsien, il entreprend un rêve fou, recréer un studio d’enregistrement 100% vintage avec du matériel essentiellement sixties, dénué de toutes mauvaises ondes inhérentes au XXIe (pour en savoir plus, jeter un oeil sur son site complètement barré). Pour ce retour aux sources, il fonde en 2000 un quatuor hypnotique, Aqua Nebula Oscillator, une tribu d’irréductibles qui prêchent le retour aux valeurs acid-rock. Un documentaire sur cette étrange secte signé du grand shamane ne devrait pas tarder à sortir…

Et voilà donc cette Consolation, qui marque son retour après six ans d’abstinence discographique. Un projet gargantuesque : 16 plages offrant un large panorama du mouvement psychédélique 60’s sous ses diverses excroissances, avec quelques légères incartades contemporaines. L’effet est saisissant. C’est foisonnant, épique, mystique et jouissif. Le chantier est d’ailleurs peut-être trop grand pour un seul homme, on comprend mieux les raisons d’un si long silence. Tel un vinyle original des Electric Prunes sous son enveloppe plastique, il ne manquerait plus que l’odeur pour que le plaisir soit total.

Fascinant hommage acidulé, chaque morceau de Consolation relève du tour de force : de délicieuses respirations surf braquées sur les Shadows ponctuent le disque. Mais c’est une vision en cinemascope que nous projette d’entrée la seconde plage, “Palmorama Scene”, un mélange symphonique entre la BO de Lawrence d’Arabie et The Lonely Surfer du grand Jack Nietzsche où des violons majestueux se posent sur une production spectorienne. Avec un souci de réalisme, Juan Trip a délaissé ses bruyantes boîtes à rythmes pour revenir aux bonnes vieilles secousses de réverbs Mono. Quelques synthétiseurs échappent à ce grand ménage, mais l’esprit rétro est là.

Place au garage : des guitares Fuzz sur “Dirty Party” nous ramènent au Stones d’Aftermath, tandis A Dreamful of Time est un instrumental envoûtant, fabuleuse allégorie sonique d’un rêve merveilleux. Le songe vire rapidement au cauchemar sur “Robots & Space Chips” (un titre d’Aqua Nebula Oscillator), une petite sonde envoyée droit dans la galaxie de Syd Barrett. Et puis le binaire reprend ses droits, “Big City” balance un riff lourd de guitare électrique, une chanson rock psychotique à la Jesus & mary Chain.

Il faut attendre la moitié de l’album pour que de flagrantes nuances Techno/synthétiques apparaissent enfin. Après “For Shock N’Roll”, danse mortuaire conviant Suicide et le “Atmosphere” de Joy Division, le voyage devient de plus en plus halluciné avec des instrumentaux épiques qui auraient pu être consommés par Death In Vegas. On s’enfume sur “Real” et surtout le sitar de “Consolation”, le titre qui porte le nom de l’album. “Smoke To The Rescue” est en fait le seul véritable consensus électro, un truc à la Fat Boy Slim. La fameuse “SU.Z.I.E” (Q), clôt le chapitre avec une ballade dans le pur style Velvet Underground. Rien de mieux pour terminer la soirée en beauté. La brèche dans le temps vient de se refermer.

Tout comme les Flamin Groovies, Jason Pierce ou le Brian Jonestown Massacre, Juan Trip est une anomalie dans le paysage musical contemporain. Une fabuleuse horloge déglinguée qui laisse pantois d’admiration. Faites passer la came.

– Le site de Juan Trip