Belle surprise que ce premier album de l’angélique Inara George, dont la folk-pop au charme immédiat s’avère à la longue beaucoup plus fouillée et originale qu’elle ne pourrait le laisser paraître de prime abord.


On ne l’attendait pas. Elle est venue sans crier gare, comme ça, séduire nos tympans pourtant abreuvés de sons. Elle a su nous glisser dans le creux de l’oreille ses mélodies suaves, sa nostalgie gracieuse et ses sautes d’humeur impromptues. Quelques chansons enchanteresses et voilà nos goûts qui batifolent, prennent la clé des champs. Parfois, la musique court comme une évidence qui s’insinuerait en nous à la manière d’une divine liqueur. On aurait tort alors de faire la fine bouche, de fuir nos désirs pour leur préférer une réalité concrète sans doute plus commode à accepter.

L’objet du délit s’appelle Inara George. Fille du défunt Lowel George, le guitariste et compositeur du groupe Little Feat, elle fut à bonne école pour laisser éclore une fibre musicale qui ne demandait au fond qu’à palpiter. Enfant, elle côtoya en effet de près les Violent Femmes, Van Dyke Parks et Jackson Browne (qui fait les choeurs sur “A Day”), des artistes qui gravitaient autour des membres de sa famille, et séjournèrent même parfois dans sa maison. Plus tard, adolescente, elle fondera tout d’abord avec des amis le groupe de rock Lode, puis jouera ensuite dans Merrick, formation californienne très en vue localement au début des années 2000, associée à une scène folk et rock alors florissante (BRMC, Devendra Banhart, Midnight Movies, Eleni Mandel – soit tous les favoris défendus à cette époque par la station de radio KCRW).

Aujourd’hui, Inara George a la trentaine radieuse et vole de ses propres ailes, même si la présence à ses côtés du guitariste, producteur et compositeur de BO Michael Andrews (Donnie darko, Freaks, Geek) s’est avérée cruciale pour mettre sur pieds All Rise. Responsable en grande partie de la densité et la variété sonores de l’album, il a aussi réuni autour de la belle toute une cour de musiciens judicieusement triés sur le volet : Greg Kurstin aux claviers (Beck, Ben Harper), Pete McNeal à la batterie (Cake, Jem) et Chris Stillwell à la basse (Greyboy Allstar). L’expérience accumulée de chacun communique à l’album son ton enjoué et échevelé, sans toutefois mettre en sourdine la créativité propre à Inara George, ou entraver les goûts et choix de sa féconde personnalité. A l’unisson, ces musiciens ont élaboré une chaleureuse famille de circonstance. Ils ont constitué un cocon musical idoine pour que naissent des chansons libres et légères, qui flottent dans l’air du temps mais peuvent aussi papillonner en des lieux plus retirés et secrets.

Alors qu’elle aurait pu presque se contenter de porter ses textes avec sa voix magnifique, veloutée et sensuelle, Inara George – à l’instar de Laura Veirs ou Fiona Apple – ne confond pas modestie et facilité. Les morceaux de All Rise baignent certes dans une folk-pop qui se dispense des tours de force ou des grands chamboulements rénovateurs, mais ils sont travaillés en profondeur par une multitude d’aspirations harmoniques et de détails instrumentaux qui déjouent les apparences et ne sont pas sans provoquer quelques remous noyant tout effet de lassitude. L’électro délicate de “Mistress”, le piano ouaté et la discrète guitare acoustique de “Fools Work” (morceau écrit par Joe Jackson), la guitare électrique qui accélère subtilement le mouvement mélodique de “No Poem”, les claviers célestes et la voix légèrement amplifiée de “Turn On/Off” : on pourrait s’amuser à l’envi à répertorier les fines touches apposées ici et là afin de constamment déplacer le cadre dans lequel le groupe refuse de s’enfermer.

Le discret pas de côté pratiqué par Inara George est d’ailleurs le principal atout de All Rise. Il relève d’une sensibilité de tous les instants, d’une écoute attentive (des uns et des autres), puis d’une solide aptitude à puiser dans ce vivier de sentiments et d’émotions les éléments qui la regardent plus particulièrement. Le miroir qu’elle dresse devant elle – apanage des premiers albums – nous renvoie l’image d’une jeune femme sincère et imprévisible qui sait s’oublier dans les oreilles des autres. Et lorsque point la mélancolie (les très beaux “Food Is Love” et “Pull Things”), que le rideau tombe et qu’elle se découvre d’un fil, ce n’est pas pour éponger ses peines ou se répandre en vaines lamentations. Le plaisir reste de mise, la légèreté de rigueur et l’imaginaire fertile en visions oniriques apaisantes. On l’aura compris, All Rise est un long fleuve tranquille plutôt qu’un torrent impétueux. Et malgré deux trois morceaux plus convenus, il contient suffisamment de promesses pour que l’on attende la suite sur la rive, avec une impatience non feinte.

– Le site de Inara George.

– Inara George sur Myspace.