Une fontaine des miracles, oeuvre d’un troubadour illuminé qui perd ses folk songs dans un véritable dédale d’ambiances atmosphériques. Complexe, cette perte des sens procure néanmoins un désir abreuvant.


Voilà un péplum sonique qui en impose. L’effort s’illustre d’abord en chiffres : 16 morceaux labyrinthiques concentrés sur 75 minutes (soit la durée maximale d’un cd) relayés par une bonne trentaine de musiciens (recensés sur le livret).
Manifestement, Matt Liam Nicholson, gourou du collectif Function, rejette toute notion de facilité dans sa musique. Cet australien âgé de 29 ans est venu à bout d’un projet musical colossal, fruit de quatre ans de bourlingue et de rencontres improbables à travers une dizaine de pays dont l’Egypte, le Japon, la Belgique, l’Inde, le nouveau monde et probablement le triangle des Bermudes…. Chaque halte en terre étrangère fut l’opportunité de sceller une amitié sur disque. Pour vous donner un aperçu de cette expérience transcendantale, la liste des hôtes du fou Nicholson est plutôt éclectique : les princes de la musique indienne Lakshmi Shankar et Subash Chandran ou encore le guitariste Chris Smith (chez Fat Cat et Emperor Jones) et le tromboniste légendaire Stuart Dempster (New Albion).

Un peu rapidement rangé dans la catégorie des folkers inclassables, Matt Nicholson est aussi compositeur de BO et de documentaires à ses heures perdues. On l’a également croisé récemment en première partie des concerts du défricheur Christian Fennesz, en Angleterre. Le second opus de Function, le zélé The Zillionaire-Retarded Speeds of Ordinary Measured Light (2003) ne se souciait guère déjà de conformisme. Puzzle informe dont les pièces ont été assemblées au marteau, disque à la production effrontément dense, The Secret Miracle Fountain s’anime de contre-pieds mélodiques périlleux. De par sa démarche très arty, que l’on pourrait assimiler au courant Dada, Nicholson provoque sans répit des collisions miraculeuses entre débris de chansons et nappes contemplatives : folk psychédélique, world, avant-garde électro-acoustique, ambient et noisy rock… ce fourre-tout indescriptible s’empile sans ordre logique.

The Secret Miracle Fountain est dans un premier temps hospitalier avec une poignée de folk-songs irradiées façon Grizzly Bear (l’enivrant “Beloved, Lost to Begin With”, ou le très mystique “The Red Hook Overview”). Même dans ses revirements rock dissonants sur “The Wind Itself”, la production audacieuse et foisonnante n’est pas dénuée d’ambition : des drones de guitares électriques implosées perturbent un ensemble de cordes classiques et de chants de sirène shoegazer. A partir de la huitième plage, les harmonies s’absolvent totalement de charte de composition et furètent vers des divagations entre electronica et world music, à base d’instruments primitifs et textures d’avant-garde (parasites…). L’équilibre des compositions est sans cesse interrompu par des interventions hypnotiques et bruits d’ambiance lounge : d’un crépitement de feu de camp, on est ensuite bousculés par la bande son d’un film des années 20, d’où s’échappent un air de flûte de pan (“New Music for Bowed Animals”) et des incantations shamaniques (“The Broken Shaman”), en passant par le bruit de vagues s’échouant sur un continent inconnu. Paradoxalement, cet enchevêtrement complexe communique une fascinante modernité à l’ensemble.

Il faudra attendre la douzième plage pour qu’un certaine rigueur de composition réapparaisse : “Electric Outcome” rappelle beaucoup la chanson de Kevin Shields, composée pour le film Lost in Translation de Sofia Coppola. Disque déconcertant, cette fontaine des miracles procure d’ailleurs chez nous la même sensation d’évasion que la première écoute de Loveless. Ce serait en somme le pendant avant-folk de cette source intarissable, dirons-nous.

– Le site officiel de Function

– La page myspace