Mélancolie souveraine et odyssée cinématographique, Arman Méliès réussit un disque d’orfèvre à la beauté glacée.


Entamer une chronique du troisième album d’Arman Méliès alors qu’il fait soleil dehors et que les bleus viennent d’éliminer les joueurs de la Seleçao en quart de finale de la Coupe du Monde, pourrait revenir à s’infliger des tortures volontaires ! En apparence seulement, car s’il est vrai que son univers feutré tranche radicalement avec l’exubérance et la liesse de ces derniers jours, il s’avère être un compagnon de route idéal pendant les heures creuses, celles passées à ranger son appartement ou à rêvasser devant des photos de vacances. Un album à apprécier dans la quiétude du dimanche donc, quand l’esprit serein peut enfin s’attarder sur les mille nuances qui composent son ambiance clair-obscur.

Odyssée chatoyante, Les Tortures Volontaires consacrent l’écriture d’un songwriter magicien ayant digéré les influences indie-rock de son ex-groupe eNola pour aller flirter seul vers la pop, voire le post-rock orchestral où les arrangements millimétrés et les déploiements crescendo finissent par donner le vertige comme chez Mercury Rev ou Lambchop. Pourtant, loin de s’enfermer dans le format « symphonie pop miniature », Arman Méliès préfère suivre une narration plus cinématographique. Derrière des titres instrumentaux comme « Roma Troma » et plus loin « Le retour des caravelles » qui rappellent le chabadabada d’Un Homme et Une Femme, il y a un hommage discret aux bandes originales de Nino Rota et Ennio Morricone tout comme on pourrait déceler, aussi, une petite révérence face aux grands arrangeurs des années 60, Michel Legrand ou André Popp.

Si les mélodies sont inspirées, Méliès est aussi un auteur exigeant possédant une écriture poétique très personnelle. Maniant l’ellipse avec classe, il prend soin de ne pas se raconter mais plutôt de dérouler des petites histoires fictionnelles peut-être plus éloquentes encore, où il est souvent question d’évasion( « Low Cost », « Fuir ») et de romantisme sombre (« Ivres », « Entre les Lames »), faisant jaillir de belles fulgurances de style : «Sur nos joues à la chair rosie, d’anciens feux iront même abdiquer….» Pourtant, à l’image du titre inaugural « Les Alizés », la musicalité des mots prend souvent le pas sur le sens, rappelant chez ce musicien esthète que la forme prime sur le fond et que sa musique s’apprécie d’abord dans un vaste mouvement d’ensemble.

Univers mouvant, bardé de références, ces Tortures Volontaires consacrent plus encore que Néons Blancs et Asphaltine – son précédent opus – un artiste mature à la délicatesse magnifique. Avec son faux air de Mathieu Amalric, Arman Méliès affiche un talent protéiforme et une vraie jubilation à créer des décalages. Avancer masqué – jouer le mystère, parier sur le pouvoir de la suggestion – semble être le credo de l’auteur de ce disque dont les paysages ressemblent à un plateau de cinéma déserté. Sur l’échiquier des musiciens trentenaires qui comptent, il faudra désormais le placer aux côtés de Sébastien Schuller pour le goût des ambiances papier glacé et Joseph d’Anvers pour cet art de marier la grammaire anglo-saxonne avec la langue française. Car ils sont finalement bien peu à reprendre le flambeau des Dominique A, Murat ou Miossec en délaissant les artères trop encombrées – ou peu inspirées – pour des chemins de traverse magnifiques. Attention, chef-d’oeuvre !

– Le site d’Arman Méliès