Joseph d’Anvers. Ici, chez Pinkushion, on a peu de coups de foudre pour la musique française. Joseph d’Anvers est l’exception. Son album Les choses d’en face, ainsi que l’Ep L’envers des choses, à l’écriture plus rock (et rendant hommage à Daniel Darc), démontrent bel et bien l’étendue de ses talents.


Formé à Bruxelles au cinéma (à l’Insas), boxeur à ses heures, Joseph d’Anvers est aussi, depuis peu, chanteur public. Dans le cadre des Nuits du Botanique, il s’apprête à donner son premier concert en Belgique, en tête d’affiche.

C’est un bonhomme tout ce qu’il y a de plus ouvert et souriant qui m’accueille dans sa loge, pour un blind test concocté spécialement pour lui. Une façon de sonder qui se cache derrière Joseph d’Anvers.

Daniel Darc – La pluie qui tombe

Joseph d’Anvers : Daniel Darc. C’est une grosse influence. Déjà quand j’étais gamin, puis étudiant. Après, j’ai un peu moins écouté, j’étais plus dans le rock, principalement américain. Au moment où j’ai commencé mon projet d’album solo, et donc à écrire et chanter seul, bizarrement, je suis tombé sur son album Crève coeur à la Fnac, alors que je ne savais pas du tout qu’il en avait sorti un nouveau. Je l’ai écouté sur place, sur les bornes d’écoute, notamment le morceau “La pluie qui tombe”… Je me suis dit : merde, c’est ce que je veux faire (rires). Trois-quatre mois après, alors que je ne voyais pas le bout du tunnel niveau labels – on me demandait d’attendre, je n’y croyais plus vraiment -, je l’ai rencontré dans la rue, à Pigalle. Incroyable ! On s’est croisés rue Rochechouart, en plein milieu de la chaussée. Je l’ai abordé, et, en gros, alors que j’avais décidé ce jour-là d’arrêter, cette rencontre a été pour beaucoup dans la sortie de mon premier album solo. Ce jour-là, j’allais voir le label, et je m’étais dit que s’il y avait le moindre obstacle – comme l’absence du boss – je laissais tout tomber. Je me disais déjà que je n’avais pas ma place dans la chanson. Enfin, bref, je m’étais fait en quelque sorte une raison. Mais je ne suis jamais arrivé chez le label car j’ai rencontré Daniel Darc entre-temps (rires). On a bu quelques bières, il m’a remonté le moral, et là…(il joint les mains et les monte au ciel).

Pinkushion : C’est le destin ?

C’est tout de même très bizarre. Je l’ai vu cette fois-là dans la rue, depuis je ne lui ai jamais reparlé. C’est bizarre, dans la rue comme ça, à moins une de tout plaquer. Il était au milieu de la rue, il titubait. Moi j’étais dans mon truc, mes pensées, et je croise ce type titubant sur la chaussée. En plus, d’habitude, même les gens que je connais, il m’arrive de ne pas les reconnaître dans la rue, ou de ne pas vouloir les déranger. Pourquoi suis-je allé le voir ? Alors, oui, le destin, pourquoi pas ? J’aurais pu partir deux minutes plus tard de chez moi… et ne pas le rencontrer puisque le bar où il allait se trouvait à dix mètres ! La vie est parfois bizarre, ça ne tient qu’à un fil tout ça. C’est une belle histoire je trouve.

Miossec – Rester en vie

Christophe Miossec. C’est une influence non avouée. Je dirais même qu’elle était inconsciente. J’ai écouté Boire, son premier album, en 95 je crois. J’avais 17 ans. Ça m’a marqué à l’époque. J’ai écouté aussi l’album suivant, un peu moins après. J’étais dans ce créneau rock pur et dur, puis post-rock avec des groupes comme Mogwai. La chanson française ne me touchait plus à ce moment-là. J’y suis revenu, notamment en rencontrant Miossec. J’ai remarqué qu’entre 1995 et 2005, Miossec n’a pas fait beaucoup de participations sur d’autres albums. Je lui ai proposé de venir enregistrer ici à Bruxelles. A la fin des sessions et de la soirée, on s’est regardés après quelques bières, et je lui ai dit : « ça me fait bizarre d’être là, avec toi. On est un peu tous tes enfants, ma génération ». Il a répondu (parle plus fort) : « mais je suis pas ton père ! » (rires) « Le grand frère je préfère ! » Il a 41/42 ans, le même âge que mon pote Jean-Luc Pierrot, qui a réalisé l’album, et Jean Lamotte, le directeur artistique, ainsi que Jeff Bodart. Pour revenir à Miossec, c’est une influence qui m’a décomplexé pour l’écriture et le chant en français. J’écoutais des trucs français pas vraiment évidents, comme Diabologum. J’écrivais des textes, comme ça. C’est grâce à Miossec que ce phrasé, ces mots qu’il emploie, son histoire, ce rock-là a été rendu possible. Je n’ai pas du tout l’impression de faire partie de cette nouvelle chanson française, je me vois plus dans une scène rock, accessoirement française. Je suis plus dans une démarche rock, à la Miossec. Ce dernier, même avec une petite chansonnette, c’est beaucoup plus rock que certains groupes français du genre. La gueulante qu’il pousse sur “La vie est une putain”, wouah, ça sent le graillon tu vois ! (rires). C’est ce qu’il fallait, c’est super.

Pierre Bondu – Mieux que personne

Je ne vois pas, je dirai un truc au hasard si je devais absolument dire quelque chose. C’est très bien en tout cas. C’est très Melody Nelson. Non, je donne ma langue au chat.

Pinkushion : Pierre Bondu.

Ah d’accord, ouais. On m’en parle pas mal en fait, mais je n’ai jamais pris la peine de l’écouter vraiment. Il travaille beaucoup avec Dominique A non ? L’orchestre de Bucarest, c’est pas lui ? Il est beaucoup plus musicien que moi à la base je pense, puisqu’il fait des arrangements.

Crédit photo Elisa Allenbach

Thomas Fersen – Mon iguanodon

Fersen ? Ah ouais, j’aime bien Fersen. J’ai fait une émission de radio y a pas longtemps avec lui. Avec toute la vague qui est arrivée – les Delerm etc… – ça me fait du mal pour Fersen, car je trouve que c’est lui qui a défriché ce créneau-là. Je ne dis pas que les autres n’ont pas de talent, mais je trouve que tout le mérite lui revient. Il écrit super bien, il a un univers magique. Son album Qu4tre je le trouve magnifique. C’est un mec que j’aime beaucoup et que j’ai vu jouer en live. Ça m’a frappé comme les mecs qui l’entouraient étaient bons, carrés. C’était du live, il aurait pu se dire qu’on peut le refaire… Non, non, tout est parfait avec lui. Une seule prise ! Pour moi, c’est un des bonhommes, avec Miossec et Darc, que j’admire.

En même temps, ce qui est bizarre chez ces gars-là c’est qu’ils ne fassent pas plus de choses pour d’autres. Ce sont des solitaires en fait. Des isolés même, car on n’arrive pas – comme aiment le faire les labels – à les rapprocher d’autres artistes. C’est marrant : tu as toute cette musique française faite de Bashung, Darc et Miossec. Y avait Daho aussi au début. C’est comme une grande famille faite de cas isolés. C’est étrange tout de même. Miossec, par exemple, est extrêmement touchant. Tu lui dis que tu dois faire un truc – enregistrement de voix pour “Les Amants” – il te répond qu’il attend au bar (rires). Un homme est un homme avec lui, avec ses défauts. Il a une humilité dingue. Moi j’aime ça chez les gens, même dans la vie de tous les jours. Jean-Louis Pierrot est comme ça aussi. C’est un mec qui est ultra-talentueux, jamais là où il ne faut pas, il a toujours le bon mot, il ne tire jamais la couverture à lui. Pourtant, un producteur, tu peux aller au clash avec lui, car les vues peuvent être différentes. Non, lui, il propose des trucs mais c’est toi qui décide in fine. Je trouve ça très cool. Même chose avec Miossec : à la fin de la session il voulait encore continuer : « encore une, encore une » (rires). Il est humble, il ne fait pas de bruit. Ce sont souvent les meilleurs ! Voilà, ces gens font maintenant partie de ma famille.

Yves Montand – La chansonnette

Yves Montand ? Tiens pourquoi ?

Pinkushion : ça m’évoque “La Valse des gens”…

Ah ouais ? On me parle souvent d’autres trucs mais jamais de Montand. Brel, Vesoul, mais jamais Montand (rires). Je ne le connais pas beaucoup, en tant que chanteur, je veux dire. Mais j’aime bien, je suis flatté. J’aime bien le bonhomme. Il est sorti avec Marilyn Monroe quand même (rires). C’est la classe Montand. Il a réussi beaucoup de choses : acteur, chanteur, danseur, music hall…

Pinkushion :Il a même fait un peu de politique.

Ah ouais ? Je ne savais pas.

Pinkushion : Si, très à gauche.

Bien (opinant du chef). J’ai étudié le cinéma, ici à Bruxelles, à l’INSAS, et souvent les gens me demandent si je vais faire du cinéma en plus de chanter. Ça se peut oui, pourquoi pas. On peut avoir envie de nord et de sud à la fois, d’aller à la mer l’hiver et à la montagne l’été. Voilà, on a deux jambes, il y a l’image et le son. Ça fait deux ans que je suis dans la musique, je fais à côté de la photo, je suis aussi en train d’écrire un scénario, j’ai besoin de me tourner vers ça. J’ai tendance à croire que tu peux faire les deux. Quand je fais de la photo, j’ai des idées sur le cadrage par exemple, quand je regarde un film, j’imagine bien certaines musiques dessus. J’ai réalisé trois court-métrages. Là j’espère que je vais enfin réaliser un long. La musique, c’est pareil. Des images me donnent envie de créer des sons, et vice versa. J’écoute beaucoup Joseph Arthur par exemple.

Pinkushion : J’entends souvent les musiciens se plaindre de ce que les réalisateurs de films confient souvent leur musique à des gens qui – disent-ils – n’y connaissent rien. Ils se sentent du coup frustrés qu’on ne leur demande pas à eux de faire des bandes sonores de films.

Jusqu’ici, j’ai eu la chance avec mes court-métrages de pourvoir faire et l’image et la musique des films. C’est clair maintenant que j’ai plus l’oreille musicienne et que je ne cadre pas de la même manière. Ça donne un petit supplément d’âme au film. Ceci dit, je trouve en effet qu’en France il n’y a pas assez d’interaction entre les divers médias de l’art. C’est bête ! Parce que c’est catalogué, confiné. Aux USA je vois de bonnes collaborations, avec des compositeurs attitrés comme David Lynch avec Badalamenti. La série Twin Peaks, ce sont tout de même des thèmes incroyables. Des choses comme celles de Vincent Gallo, aussi, j’aime bien. J’aime ses films (en tant qu’acteur et réalisateur), ses albums studio, ses musiques de film, ses dessins… J’ai tout, sauf ses derniers. Pourquoi s’interdirait-on de bifurquer, d’aller voir ailleurs ? Conclusion : oui, j’aimerais bien composer la musique d’un film.

Zita Swoon – Intrigue

Connais pas.

Pinkushion :C’est un flamand, qui a fait partie de dEUS.

Zita Swoon ? Ah d’accord. Je ne connais pas cette chanson. En entendant la voix j’allais dire dEUS, mais ce qui clochait c’est que c’était en français (rires). Bien que je me sois un peu planté (rires), j’aime beaucoup cette scène belge, notamment d’Anvers. Sans démagogie aucune, il y a un côté – que l’on retrouve aussi chez les frères Dardenne, Benoît Mariage ou même le film de Tom Barman (que je n’ai pas encore vu ceci dit), Poelvoorde bien sûr, mais aussi dans le rock belge – dEUS, Sharko…- très foisonnant. Je trouve qu’en Europe c’est en Belgique que ça se passe culturellement parlant.

Tom Barman – Le poinçonneur des Lilas

Cela me dit quelque chose mais je ne vois pas ?

Pinkushion : Tom Barman.

Ah bon ? Bien ! (il écoute le titre)

Bob Dylan – Hurricane

Je sèche encore.

Pinkushion : Bob Dylan.

Ah bon ? Je ne reconnaissais pas sa voix.

Pinkushion : « Hurricane ». Bande sonore du film Hurricane Carter. Je sais que tu as fait de la boxe aussi.

Ah ouais ? Putain je suis naze sur Bob Dylan (rires). Jean Charles, le guitariste, on l’appelle Papy rock, car il sait tout, c’est un puits de science. Il ne faut pas lui dire que j’ai séché là-dessus hein ! (rires). C’est marrant parce que j’avais un prof d’anglais qui m’a vachement marqué car il avait vécu la période hippie. Tous les lundis matin, il nous passait de la musique. Il faisait déjà des blind test (rires). « Vous devez trouver ! » (rires). Y avait Donovan , Hendrix, Van der Graaf Generator, les Waterboys et Dylan aussi. Je me rappelle une fois, il nous a dit (toujours en anglais bien sûr) : « voilà, j’ai perdu un pote, écoutez ça » !
Pour parler de la boxe, dans ce milieu je ne fréquente que des gars qui font du hip-hop. Je dois être le seul à faire de la chanson française (rires). La boxe ça me permet de rebondir, de relativiser, de me défouler. Ça permet aussi de ne pas sombrer. Regarde le génie de Darc, qui est noyé dans l’alcool… Chez d’autres, c’est la drogue. Chez moi, c’est con à dire, mais c’est le sport.

Tom Waits – Step right up

J’ai peur de dire des conneries. Je ne vois pas. Ah ben oui, je suis con, c’est monsieur Waits ! Je suis fan évidemment. J’aime bien la période actuelle et ce depuis God Machine. Mon préféré est celui qui se passe dans un café, un peu dans cet esprit-là. Sur la pochette, tu vois la façade du bar (Nighthawks at the Diner). J’ai connu Tom Waits par cet album. Il y a ce côté solitaire dont on parlait tout à l’heure. Tom Waits est définitivement rock, mais aussi jazz ou chanson. Et c’est ça qui est triste d’ailleurs avec lui. C’est que chaque radio met en avant l’un de ses côtés pour ne pas le passer. On le catégorise à tort. On me dit souvent aussi que je suis trop ceci ou trop cela, ou pas assez ci ou ça (rires). J’étais à Cannes il n’y pas longtemps, et je zappais les radios : je n’en ai vu aucune qui pourrait me passer… Alors, finalement, on me catégorise : tant mieux, tant mieux. Anaïs ou Camille, on a vu l’avant et l’après prix. Enfin, c’est comme ça, c’est la règle du jeu, on sait comment ça se passe à l’avance. Il y a deux ans personne ne voulait de moi. Il y a un an, une dizaine de labels m’appelaient… il me disaient : « putain, c’est cool ce que tu fais ». Mes chansons sont les mêmes je leur répondais. Je suis content que vous me disiez ça alors qu’il y a peu ça ne valait rien. Je ne vais pas cracher dans la soupe. Mais ça me fait sourire.

Joseph d’Anvers – La valse des gens

Oh la la. C’est dur de parler de sa propre chanson (rires). C’est une chanson que j’ai écrite en un quart d’heure. Quand on l’a enregistrée, j’ai voulu respecter cette spontanéité. Rémy s’est mis au piano, moi au micro et on l’a enregistrée très vite. C’est comme “Les cicatrices”, dernier morceau de l’album, enregistré à cinq heures du matin, complètement crevé. Une seule prise. Les mecs en cabine m’ont dit « c’est super ». En effet, pas besoin de faire 50 prises (rires). Il y a des chansons comme ça. Jamais je n’aurais pu le refaire de la même façon. Ce sont d’heureux hasards de circonstance. J’y crois vraiment à ces trucs-là. “Mes jours heureux”, il y a un côté léger aussi. Les sessions c’est souvent des trucs comme ça. Par exemple avec Jean-François Assy (qui bosse avec Bashung), je lui ai dit qu’il avait carte blanche, il a essayé un truc, et ça l’a fait direct. On a gardé la première prise ! Il y a des trucs qui dérapent un peu – pour lui, pas pour nous (rires) – mais bon. Il y a du coup ce côté vivant. Il y a tellement de groupes de rock où tu ne sens plus cet emballement final. “Pigalle” je voulais qu’il y ait cette sorte de flottement instrumental, sans savoir où on allait exactement. “La brèche” pareil, ça finit en rock. La musique, elle ne changera pas la face du monde. C’est vrai.
Souvent, il y a des gens qui me disent : t’as pas peur de prendre la grosse tête ? De te prendre pour… Non, je fais des chansons, point. Le médecin qui fait une greffe de visage, lui, il peut avoir peur, avoir les mains qui tremblent. Moi si je rate le début d’une chanson, je peux m’arrêter, dire aux gens : désolé, je reprends. Le chirurgien non. On dramatise trop en musique. Cette surenchère qui fait que c’est trop produit. Madonna, Black Eyed Peas… NON ! Quand je monte sur un ring et que je perds contre un mec qui est à ma portée, je m’en veux. Gamin j’en chialais même. Par contre, quand je me prends une branlée contre un mec plus fort que moi, et que j’ai tout fait, non, il “était trop fort, il n’y avait rien à faire” (rires). C’est comme ça que j’ai voulu faire l’album : donner le meilleur de moi, faire tout ce que je peux. Si c’est faible ou que je ne suis pas aimé, c’est pas grave. Moi, je sais que j’ai tout donné, c’est ce qui compte.

– A lire la chronique de Les choses en face.