Luke Temple, nouvelle révélation américaine de Fargo, nous livre onze variations d’une grande sensibilité. En digne héritier de feu Elliott Smith.


A première vue, Luke Temple pourrait n’être qu’un songwriter de plus, quelque part entre l’odyssée mélodique exceptionnelle de Sufjan Stevens et l’univers torturé du regretté Elliott Smith. L’indéniable efficacité de “Someone, Somewhere” qui ouvre l’album, nous conforte dans cette impression. Des accords gratouillés sur une rythmique entraînante et juste ce qu’il faut de dissonance constituent l’environnement musical sur lequel Luke Temple pose son filet de voix. Un refrain simple et vivace – même après une seule écoute – qui évoque des constats surréalistes («trees have eyes and rocks have legs») finit de parfaire cette ritournelle d’à peine 2 min 22. La fraîcheur qui en émane paraît presque trop évidente, trop léchée pour être honnête, comme si Luke Temple avait absolument cherché à toucher du doigt une de ces petites merveilles de pop acoustique. Toutefois, ramené à la totalité de ce Hold A Match For A Gasoline World, cette ouverture semble finalement assez peu représentative de la musique de Luke Temple. Seul “Get Deep, Get Close” pourrait s’en approcher, porté par une lead-guitare au son sixties, un tempo rapide et la chaleur d’une clarinette – instrument qui ponctue l’essentiel des compositions. On lui trouverait presque un petit air d’OP8.

Le reste de l’album se caractérise par des arrangements dont la simplicité n’a d’égal que la beauté. Dès le deuxième titre, (“Make Right With You”), on apprécie le tapotement à peine perceptible qui rythme les arpèges acoustiques, et lorsque Luke Temple entonne le couplet d’une voix claire, on pense à Sufjan Stevens, bientôt relayé par un piano. Il semble jouir d’une facilité innée à poser sa voix, au timbre très agréable, dans la lignée de Rufus Wainwright ou de Jeff Buckley. Dans “In The End”, la mélodie assez simple, construite autour d’accords acoustiques, se voit soudainement transfigurée sur le refain : Luke saute en effet une octave, côtoyant de près l’agilité vocale de ce cousin disparu dans les remous du Mississippi .

Néanmoins, ces qualités vocales indéniables ne sont pas forcément la garantie de chansons réussies. Elles peuvent même le desservir parfois, lorsqu’il en exagère les accents délicats, surtout dans les aigus. “Mr. Disgrace” pèche ainsi par cette préciosité déguisée en sensibilité exacerbée. Car Luke Temple est en permanence sur le fil, entre sincérité acoustique et effets de style – parfois outrés. Et il suffit de peu pour qu’une de ces montées spectaculaires dans les aigus ne frise le ridicule. Sur “Only A Ghost”, il parvient de justesse à rendre l’envolée légitime – après ce maladroit «God only knows» – grâce à des couplets maîtrisés.

Mais ne soyons pas trop sévères avec lui, Hold A Match… comporte de très bons morceaux, issus d’un mélange musical qui a fait ses preuves : une sensiblité pop alliée à une instrumentation aux accents folk. Impossible de rester indifférent à “Radiation Blues”, proche de Radiohead (avant que ces derniers ne s’entichent de leurs ordinateurs et autres boîtes à rythmes). Difficle de résister également à “Old New York”, dans lequel Luke Temple distille sa sensibilité à la manière des maîtres du genre. Sur “Private Shipwreck”, il dévoile d’autres possibilités encore : sur un rythme binaire soutenu par des nappes de clavier et des guitares, la magie de sa voix opère tout de suite. Grâce à ces bijoux de compositions, Luke Temple saura sans doute susciter une adhésion immédiate et légitime.

– Le site de Fargo