« J’ai oublié les rêves et les mercis,

Toutes ces choses qui avaient un prix,

Qui font l’envie de vivre et le désir et le plaisir aussi.

Qu’on me donne l’envie,

L’envie d’avoir envie. »


On aurait tant aimé couvrir ce disque de louanges, qu’il procure en nous une excitation qui vire à l’obsession. On aurait tant aimé que ces cinq longues années de silence nous réconcilient avec Mark Linkous. On aurait tant aimé aimer ce disque, s’induire en erreur et plutôt le défendre corps et âme. Les écoutes acharnées n’auront fait que confirmer la sentence : Dreamt for Lightyears in the Belly of a Mountain est une cinglante déception.

Mark Linkous serait finalement un être humain comme les autres, avec ses hauts et ses bas. Evidemment, cet homme est fait de chair et de sang, mais on se disait que s’il était capable de nous destabiliser en évoquant dans son refrain une jolie fille qui regarde une vache, c’est qu’on tenait là un talent exceptionnel.
Le temps de deux disques cruciaux surnageant la production musicale de la seconde moitié des années 90, Vivadixiesubmarinetransmissionplot (1995) et Good Morning Spider (1998), nous étions tombés en admiration devant ce songwriting limpide, cette approche lo-fi tellement organique, ces compositions ébréchées d’une délicatesse infinie, cette voix chancelante. Secret bien gardé, Sparklehorse était la fierté du rock indépendant – une douce ironie puisque signé sur Capitol depuis son premier album.

Alors, après un silence de cinq ans, on en attendait forcément trop de Mark Linkous. Autre ironie du destin, le rapprochement avec le sort de Jason Lytle, figure tombée en désuétude, nous laisse songeur. Dreamt for Light… n’est pas a fortiori un mauvais disque. Simplement, comparé aux états de services passés, un énorme vide semble l’habiter. On écoute poliment défiler les douze plages sans en garder la moindre trace. Pas la moindre accélération de pulsation ne se manifeste en nous. On peut ressasser les sempiternelles questions sur les mécanismes de l’inspiration : malgré toute la bonne volonté que se donne Mark Linkous pour faire sonner au mieux ses chansons, la grâce s’est envolée. Dans le passé, lorsqu’il mutilait son chef-d’oeuvre Good Morning Spider à grandes couches de fréquences radios, son talent était tellement écrasant qu’il ne faisait qu’amplifier la beauté de ses chansons. Aujourd’hui, lorsque l’instinct se transforme en formule, l’apathie et le décalage qui s’en dégagent n’en deviennent que plus flagrants.

It’s a Wonderful Life en 2001 montre déjà quelques signes de resucée, bien camouflés derrière la production de Dave Fridmann. Mais le savoir-faire et quelques perles sauve les apparences. Lassé par les tournées à rallonge et les obligations consécutives au relatif succès de l’album (150 000 exemplaires écoulés), Linkous envisage sérieusement de couler une retraite paisible dans son ranch de Virginie. Pour ne pas perdre la main, il enregistre des reprises éparpillées sur des disques hommages, et prend désormais plus de plaisir en produisant son ami et mentor Daniel Johnston.

Composer est manifestement devenu un sacerdoce pour le songwriter. A l’instar de son prédécesseur, Dreamt for Light… comprend moults collaborations : Dave Fridmann et Dangermouse se partagent le siège de producteur, tandis que Steven Drodz (Flaming Lips) et Tom Waits participent chacun à un titre. Devant ce parterre d’invités, le noyau dur de l’enregistrement se serait pourtant déroulé dans l’esprit des deux premiers albums, confectionnés en autarcie. Ce retour à la proximité ne trahit pourtant pas un manque de ressources patent.

Maintes fois repoussé, le quatrième album de Sparklehorse relève d’un processus douloureux. La douleur d’un musicien qui aimerait vainement être à la hauteur, faute à une inspiration en berne. Un tiers du disque est ainsi constitué de vieux morceaux : « Morning Hollow » vendu comme l’inédit avec Tom Waits, est l’hidden track d’It’s A Wonderful Life et « Ghost in the Sky » figurait sur la version Japonaise de l’album. « Shade and Honey » a été composé pour la BO du film Laurel Canyon, chantée par l’acteur Allesandro Nivola. L’interminable « Dreamt for Lightyears in the Belly of a Mountain » date également de 2001 et s’intitulait alors « Maxine » sur le Gold Day EP. Qu’importe, Sparklehorse a régulièrement puisé dans son matériel passé pour le magnifier. Mais dans le cas actuel, la qualité des morceaux repêchés et leur relecture sont sujets à caution.

Les huit titres vraiment nouveaux font le même effet. Les arpèges autrefois si simples et saillants, comme d’autres ornements de bric et de broc, ne font aujourd’hui que grossir les traits d’une indolence qui fait peine à entendre (“See The Lights”, repompé sur “Dear Prudence” des Fab Four, ou le sursaut rock “Ghost in Sky”, complètement inhabité). L’idée de recruter Dangermouse (Gnarls Barkley, Gorillaz) n’était pas mauvaise, mais le résultat ne s’entend pas. On peine à sauver quelque chose de ces tristes retrouvailles (“Some Sweet Day”?, “Don’t Take My Sunshine Away”?) qui ne délogent pas de notre coeur un sentiment des plus culpabilisants à l’égard de quelqu’un autrefois estimé. L’indifférence.

– Le site officiel de Sparklehorse