Avec leur folk-pop sans prétention, les Skygreen Leopards réalisent un petit bijou tout en couleurs vives qui renoue avec le meilleur de l’Americana.


Les « disciples de la Californie » feraient bien de prêter l’oreille, car voici un album qui tranche avec la grisaille ambiante. Une musique en technicolor, dont on savoure chaque son avec délectation. Une réussite d’autant plus surprenante que la modestie est le credo affiché des Skygreen Leopards, formés autour de Donovan Quinn et Glenn Donaldson. Nous faire retrouver le charme d’une simple rythmique country, apprécier la pureté étincelante de quelques notes de 12 cordes, céder aux sirènes d’un refrain pop sans apparats sont quelques-uns des exploits des Skygreen Leopards. Des ingrédients d’une évidence si désarmante qu’on en avait presque oublié l’existence, tant sont nombreux aujourd’hui les disques qui se perdent en contorsions pseudo avant-gardistes, enlisés dans une laborieuse recherche du minimalisme.

Sans faire preuve d’un génie mélodique particulier, les chansons des Leopards sont élégantes et efficaces. L’espèce de nonchalance mêlée de lassitude existentielle qu’expriment les voix est bien la marque d’un refus obstiné de la sophistication, qui caractérise aussi les arrangements et la production. Mais elle est beaucoup plus que cela : fonctionnant en contrepoint de paroles qui exhalent tout sauf l’introspection complaisante ou l’apitoiement sur soi – ce travers habituel du folk dont Nick Drake fit la satire dans “Poor Boy” – elle dessine une atmosphère de feu de camp où l’on exorcise les tourments du quotidien par une communion musicale. Ce réconfort collectif trouve son écho dans des refrains on ne peut plus explicites (« Take good care of your lovers and friends », « take care of yourself »…), qui, par miracle, ne font jamais sourire.

C’est que, entre ambiances sonores évocatrices et références mystiques, les Skygreen Leopards savent à merveille retrouver l’inspiration originelle de ce qu’on appelle « l’Americana ». Ce genre qu’on croyait à bout de souffle trouve ici une nouvelle jeunesse. La Californie dont il s’agit dans ce disque n’est pas celle du surf et des plages mais un pays fait de vertes prairies, d’animaux mythiques et de couchers de soleil, où fleurissent les couleurs vives évoquées par les guitares des Byrds. En effet, sur “Places West of Shawnapee”, on jurerait entendre la bande à Roger MacGuinn. En parfait complément de ces guitares scintillantes, les gémissements hauts perchés de “Sally Orchid” ou “Marching Band” renouent avec la grâce des ballades d’Alex Chilton.

Tous ces éléments, dira-t-on avec raison, ont déjà été entendus mille fois ailleurs, usés jusqu’à la moelle par les rentiers de la vague néo-psychédélique de la fin des années 1990. Mais créer une telle alchimie malgré ce manque patent d’originalité n’est pas le moindre tour de force des Skygreen Leopards. Sans effort, ils réussissent avec brio sur le terrain même où sont venus s’échouer des sommités bien plus douées, comme Mercury Rev ou My Morning Jacket, dans leurs derniers efforts discographiques. Sans doute, la renonciation à toute production clinquante y est-elle pour quelque chose. L’humilité joue aussi son rôle : elle transpire de chacune des chansons et parvient à rendre chaque son précieux. On trouve parfois plus dans une chanson simple que dans mille morceaux de bravoure superflus, et cet album le montre avec éclat, en révélant ses trésors petit à petit, au fil des écoutes.

« Jesus was Californian » , proclament les Skygreen Leopards. On souhaite en tout cas qu’ils gagnent autant de disciples que possible !