Dominique A est sur la route depuis le mois d’octobre, pour défendre son dernier-né L’horizon. A l’occasion de son passage à Nice, le chanteur nantais se retrouve devant une foule de 700 personnes, sagement assises sur leur siège, du fait de la disposition même de la salle : l’arène du Théâtre Lino Ventura, qui se démarque par une programmation variée et pointue. Dominique A critiquera avec malice à plusieurs reprises cette étonnante passivité du public, et livrera un set parfois électrisé capable de transfigurer ses compositions actuelles ou passées.


Vendredi 10 novembre, 20h30. La salle est comble pour ces retrouvailles avec Dominique A, que beaucoup suivent depuis ses débuts. D’autres sont venus juste pour «découvrir» sa musique, signe que la programmation du Théâtre suscite l’intérêt, même chez les non-initiés. La première partie est assurée par un groupe niçois, Rain, composé de deux membres, une guitare et trois claviers. Le chant, en anglais, est assuré par le guitariste, dont les accords constituent la trame rythmique des compositions : l’usage simultané de deux claviers différents ajoute une palette d’effets divers, planants ou inquiétants. Les mélodies, souvent en mode mineur, évoquent par instants Perry Blake. Par instants seulement.

Après ce premier set agréable, vient l’installation d’une orchestration riche : guitares, clavier, batterie, hautbois, cuivres. Huit étranges tiges blanches, longues de quatre mètres au moins, ont été disposées verticalement sur l’estrade, composant une scénographie sobre et mystérieuse. Puis débarque enfin Dominique A, grande silhouette sobrement vêtue de noir et rasée de près, accompagné de quatre musiciens. Après une acclamation en bonne et due forme, il enchaîne directement avec un titre apparemment inédit, qui prend peu à peu de l’épaisseur – arrivée progressive du chant et de la guitare – et qui engendre, sans interruption, les premiers accords de “La Relève”, aux accents métalliques. La voix de Dominique se fait plus assurée que jamais, couvrant presque l’instrumentation. Dans le premier tiers du concert, le batteur délaisse son instrument pour jouer du tuba ou de la trompette, le rythme étant assumé uniquement par la guitare. “Rouvrir” s’annonce avec une introduction instrumentale menée par le hautbois, tandis que des beats assourdis confèrent au morceau une plus grande gravité. A la moitié de la composition, le batteur dévoile ce qui va donner au concert un aspect plus rock : une batterie non conventionnelle, qui prend des airs de grosse caisse. Le son sourd et puissant qui s’en dégage va rythmer l’ensemble des morceaux rapides, et donner une dimension nouvelle, absente des albums. “Dans Un Camion” voit même le chanteur esquisser quelques sauts, sans doute revigoré par ce nouvel écrin rock.

Lui qui s’est montré peu bavard jusqu’à présent annonce, malicieux : «ça va moins rigoler maintenant!» en guise d’introduction à son interprétation électrisée de “Bowling”. Alors que nous comprenons enfin (!) à quoi servaient ces mystérieuses tiges – éclairées à leur base par un projecteur, elles matérialisent des faisceaux de lumière verticaux – des flash tromboscopiques jusqu’à l’épilepsie interviennent en renfort des distorsions de guitare. Une ambiance que l’on retrouvera plus tard sur “La Pleureuse”, interprétation tonitruante qui n’a rien de pleurnichard ou “Pour La Peau”, version électrique après une introduction timide. Seul “Music Hall” viendra apaiser les tensions : cette voix éraillée, accompagnée des notes libres du hautbois et de la chaleur mélancolique des cuivres est capable de procurer des frissons.

Si Dominique A et ses musiciens reprennent généreusement la majorité des titres qui composent L’Horizon, ils n’en oublient pas pour autant de faire revivre, par fulgurances discrètes, d’autres albums. En témoignent leur version inquiétante de “La Mémoire Neuve”, plombée par cette batterie qui en impose, où la relative douceur de “Exit”, tout en arpèges cristallins. A la fin du concert, Dominique A lance : «c’est le moment de balancer les chaises!», en référence à la passivité confortable du public. En effet, “Retour au Quartier Lointain” a tout du brûlot rock, avec sa guitare saturée et sa batterie haletante. Ce crescendo électrique annonce le final magistral qui revient à “L’Horizon” : le tuba remplace les choeurs de marins, tandis que la trompette divague, comme un lointain écho des baleines en détresse. Seuls restent les cuivres, qui jouent pendant quelques mesures encore, évoquant l’“Anchor’s Song” de … Björk. Une interprétation tout simplement époustouflante, à l’aveu même du chanteur, qui la qualifie, avec son humilité légendaire, de «pas dégueulasse».

Après une ovation bien méritée, Dominique A et son groupe reviennent pour plusieurs rappels. «Tout sera comme avant, quand vous me reverrez», entonne t-il. Une jolie façon de dire au-revoir, pense t-on. Mais Dominique A, plus généreux que jamais, enchaîne avec une version bruitiste de “Adieu, Alma”, et finit d’électriser la foule – enfin debout, enfin dans la fosse – avec son interprétation survitaminée d’“Antonia”.
Tonnerre d’applaudissements. Après un autre faux départ, “Le courage des oiseaux”, rajeuni à grands renforts de batterie, parfait le palmarès. «Merci beaucoup, c’était très chouette», confie t-il. On vous renvoie avec plaisir le compliment, Monsieur Ané.

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