Crédits photos : Pascal Amoyel

Pigalle, ses théâtres, ses sex shops, touristes, kebabs et salles de concert. Cette étrange cohabitation au parfum de décadence est l’endroit idéal pour célébrer le rock. Samedi soir, la foule qui s’amasse devant la Cigale est hétéroclite : jeunes branchés tendance slim, irréductibles bobos et ex-punks quarantenaires (beaucoup sont venus en force soutenir Gang Of four) cohabitent dans la superbe salle à la déco théâtrale. La veille, les Kooks et le Spinto Band ont renversé la foule nous dis-t-on… A l’intérieur, DJ Beauvallet accueille – comme il en a pris l’habitude – les premiers spectateurs avec ses récentes découvertes New Rave, qui nous font l’effet de bruyantes et peu efficaces. On préférera le set du DJ suivant (non identifié), plus roots mais qui joue avec notre corde sensible (The La’s, XTC…)

18h environ. La mystique Natasha Khan et ses sœurs fées apparaissent comme par enchantement derrière le rideau sous l’entité Bat For Lashes. Vêtue chacune d’une longue robe blanche et coiffée d’une couronne d’épine, l’ambiance sur scène tient presque du rituel païen. Gracieuse comme une ballerine, Natasha Khan magnétise l’audience, bien que sa prestation soit relativisée par ses musiciennes qui semblent avoir été recrutées in extremis dans l’après midi près du quartier latin. Néanmoins, leur folk transcendantal invoque quelques belles mélodies et pointes de tension, quelque part entre la pop stalactite de Stina Nordenstam et la rugosité de Cat Power. Une prestation qui donne envie d’en savoir plus : leur premier album Fur & Gold, n’étant toujours pas disponible en France.

C’est ensuite au tour du quintet le plus « hot » de Suède, Love is All, de prendre la relève. L’énergie de leur sympathique premier album se confirme sur scène : du post punk dansant, dont l’usage prédominant du saxophone lorgne notamment vers The Psychedelic Furs. Il est vrai que leur single incendiaire « Talk Talk Talk Talk » nous avait mis sur la voie. Cependant, le raccourci est un peu facile : les cris de la brunette Josephine rivalisent d’ardeur avec Karen’O même si celle-ci se la joue moins « dominatrice » devant le public. Leur rock n’est guère révolutionnaire, mais le groupe est généreux et plutôt efficace, on ne s’ennuie pas un instant. L’une des excellentes surprises de la soirée.

Le rideau s’ouvre et c’est le Guillemots Fyfe Dangerfield, au look de vagabond bohème, qui introduit le set de son groupe. Après une mise en bouche solitaire, sa fanfare indie rock – augmentée d’un duo de clarinette/saxo – le rejoint pour exécuter leur pop exaltée (exotique ?). Fyfe Dangerfield reste statique, entouré de ses claviers, mais sa voix très haute remue l’audience. Pour pallier ce manque d’action visuelle, le guitariste brésilien gesticule comme quatre, tel un headbanger. L’attirail instrumental du groupe semble sortir d’un grenier, à l’exception des pédales d’effets du guitariste (toujours) installé sur une planche large de la dimension d’une porte posée à terre. Malheureusement, cet arsenal est désuet car le son qui en sort ne s’entend pas : trop de cacophonie et pas assez de cohésion. Le groupe n’est pas à la hauteur de ses chansons ambitieuses. Cela frise même le ridicule lorsque notre guitariste (toujours lui décidément) se permet quelques fantaisies comme battre le rythme en tapant sur une machine à écrire. Dommage, car la foule, qui connaît par cœur leur mini tube indé “Trains To Brazil”, attendait une grande prestation. « Tout est là, mais il manque encore la maîtrise », disait le vieux sage.

(Petite parenthèse : Alors que le rideau se ferme, un DJ s’installe au bord de la scène tandis que la bretonne Yelle prend le micro. Dernière révélation myspace en date, elle crache sur des beats electro son féminisme hardcore. Futile et dans le vent, ses revendications post ado ne passeront certainement pas l’hiver.)

En parlant de vieux sage, les barbus texans de Midlake déconcertent. Très sincèrement, on est un peu embarrassé à leur égard. Comme tout le monde, nous avions encensé leur second album The Trials Of Van Occupanther. Mais voilà, le disque a rapidement rejoint notre étagère anonyme et commencé à hiberner bien avant la saison. On espérait que leur prestation aux Inrockuptibles nous redonnerait envie de nous pencher sur leur cas. Sur scène, leurs chansons sont superbes, et exécutées avec précision. Mais comment dire… Tout cela est un peu trop sage. Derrière eux, un écran diffuse leurs clips et quelques séquences de classiques du cinéma qui collent bien avec leur rétro rock atmosphérique (on a reconnu Tess de Polanski). Ironie du concert, le seul moment épicé sera lorsque le groupe se fâche au moment de partir, dégoûté de quitter la scène après avoir trébuché sur leur classique “Roscoe” qui a ainsi amputé la fin de leur set. Finalement, ils auront droit à un rappel exceptionnel, encouragé par le public.

Et puis vient le gros morceau de la soirée : Gang of Four, la formation post punk séminale est en ville ce soir. Le passage du gang des quatre sur la capitale est pratiquement historique, les généraux punks n’y ont joué que deux fois en presque trente ans de carrière. Cheveux grisonnants, Jon Kings fait son entrée sur scène sous une salve d’applaudissements. Son regard est malicieux, trop calme dirons-nous, mais dès qu’Andy Gill monte le potard de sa Fender, le chanteur pète les plombs. C’est un véritable commando armé qui investit des lieux. Le groupe est phénoménal, et parsème leur répertoire de nombreux hymnes du classique absolu Entertainment !. Gill, le regard froid, tient sa guitare comme une mitraillette et érafle le public de ses riffs terroristes. Le bassiste Dave Allen, pivot rythmique indéboulonnable, fait claquer sa basse funk frigorifique, ne laissant aucune seconde de répit à nos esgourdes. Clou du spectacle : la destruction d’un mini four (symbole de notre société de consommation ?). Ce soir là, ce sont les vétérans qui ont fait le plus de bruit. Une leçon de rock magistrale.

23h30. La motivation pour rentrer dans la salle mitoyenne de la Boule Noire n’est pas au beau fixe. Le concert de Beirut ayant été annulé pour de « graves raisons personnelles », la fin de soirée se révélait moins attrayante. Il est 23H20 lorsque les jeunôts de Goodbooks tentent de nous attirer dans leur filet, mais leur brit pop est trop innofensive et manque de caractère. Et l’appel du dernier métro n’attend pas. On préfère détaler lâchement au bout de quatre morceaux plutôt que de rentrer à pied à l’autre bout de Paris. Oui, pas très rock n’roll tout ça, mais on se dit qu’on a passé l’âge pour ces conneries. Bonne nuit.