Septième album d’un songwriter démiurge, Destroyer’s Rubies hisse la bannière d’un rock flamboyant qui devrait enfin rendre justice à son auteur. La perle de fin d’année à glisser dans la hotte du père Noël !


Mars 2006. Avalon Theatre de New York. L’ancienne église néo-gothique relookée en salle de concert accueillait ce soir-là une prestigieuse affiche : Magnolia Electric Co vs Destroyer. En voyant la salle se vider de moitié après la prestation du premier, il ne fallait pas être devin pour comprendre que les New-Yorkais étaient venus pour Bejar et son rock flamboyant. Faut dire qu’il avait la classe, le canadien, avec sa chemise blanche et sa telecaster en bandoulière façon dandy intello ! Et quel contraste avec la bande de Molina qui paraissait subitement plouc à côté…

Décembre 2006. Paris. Destroyer’s Rubies arrive sur ma platine. Bonne pioche, j’ai hérité de la version limitée éditée au printemps avec un bonus track de 23 minutes « Loscil’s Rubies ». Petit cadeau anecdotique après écoute qui ne gâche pourtant en rien la belle cohérence de ce nouvel album de l’homme de Vancouver, qui donne à Your Blues » une suite lyrique magistrale. Destroyer’s Rubies pourrait bien réconcilier les sceptiques de toujours avec les nouveaux convertis. Il est vrai que, par le passé, les coups d’éclat de Bejar provenaient plutôt de ses contributions au sein des New Pornographers, sorte de grand frère charismatique et sexy qui reléguait Destroyer dans l’indifférence polie.

Consolidé par un line up stabilisé et par une paire de producteurs inspirés (John Collins et Dave Carswell), ce disque laisse éclater toute la démesure de l’écriture de Bejar. Compositions amples au parfum de rock épique des années 70, mélodies sinueuses noyées de choeurs qui se perdent en écho, harangue hallucinée dylanesque… le Destroyer 2007 se plait dans les formats étirés et le plaisir épicurien du jeu. Conduit par un capitaine à la poésie fiévreuse, le navire tangue sur une mer démontée gardant l’oeil sur un cap imaginaire que lui seul s’est fixé.

On savait le peu de cas que le groupe faisait des conventions et des modes, il le confirme ici en introduisant son propos par « Rubies », une composition fleuve de plus de 9 minutes qui est sans conteste le morceau de bravoure de ce disque où les tics d’écriture se transforment en signaux de reconnaissance égrainés tout au long des 10 compositions : introductions en trompe l’oeil, rythmiques à l’emporte-pièce, mélodies flamboyantes et fausses pistes contribuent à perdre l’auditeur dans un dédale sonore ludique.

Sur cet album, l’inspiration de groupe semble donc portée par un souffle nouveau qui lorgne à coups de piano bluesy, de guitares fuzz et de striures de sax vers des références parfaitement assimilées telles que le Blood on the Tracks de Dylan ou le Live in New York City de Lennon en 1972. A tel point que le mimétisme avec ces icônes en devient troublant sur des morceaux comme « Your Blood » et « Sick Priest Learns to Last Forever ». Transpirent également, ici ou là, des effluves de boogie glam façon Bowie (« 3000 flowers ») et des divagations blues folk d’un Kevin Coyne période Majory Razorblade (« Painter In Your Pocket »).

Trop talentueux pour se laisser enfermer dans ses modèles, Bejar impose surtout son romantisme désabusé et son blues acide à travers des fulgurances (extravagances ?) qui ne se sont jamais aussi bien portées. Une belle oeuvre qui impose le respect.

– Le site de Destroyer

– Le site d’Acuarella