Xiu Xiu domine la musique actuelle de sa froide incandescence, de son noir rayonnement, de son cri passionnel. The Air Force dessine une musique du troisième millénaire, épousant au plus près les méandres compliqués des paysages intérieurs de son leader, Jamie Stewart, mais la souffrance et les doutes laissent cette fois s’insinuer une fragile lumière.


Le Christ de la pochette ne laisse aucun doute : The Air Force est un album religieux, une quête spirituelle. Toute la souffrance qu’il contient et exorcise est contenue dans cette image du Christ, couronné d’épines. On n’écoute pas Xiu Xiu, comme on écouterait n’importe quel autre groupe, seuls le silence et le recueillement s’imposent devant une telle musique, baudelairienne en diable, cierge allumé aux effluves mystérieuses.

Xiu Xiu a pris l’habitude de livrer un album majeur par an : il y a deux ans, c’était le séminal Fabulous Muscle, véritable pièce fondatrice de l’oeuvre de Xiu Xiu et, l’année dernière, l’étouffant La Forêt, deux albums mondes, porteurs d’une musique torturée, d’une musique qui se voudrait tout sauf anodine, à l’image de son leader tourmenté, Jamie Stewart.

Jusqu’à maintenant, Xiu Xiu nous avait offert quelques moments de beauté épars, des magnifiques promesses, semées çà et là, qui nous faisaient beaucoup espérer en l’avenir du groupe. Et, effectivement, The Air Force est la plus belle pierre apportée pour l’instant à l’immense édifice gothique que Xiu Xiu bâtit patiemment. On pense à Scott Walker, à l’intransigeance de The Drift, à son enfermement inéluctable et à sa beauté janséniste qui ne s’embarrasse pas d’inutiles fioritures. Il y a cette même volonté, qu’il convient de saluer, car elle est si rare aujourd’hui, de faire une musique qui soit tournée vers l’avenir, défricheuse de territoires vierges et inexplorés, une musique qui questionne et qui ne se repose pas sur des certitudes.

Mais au contraire de Scott Walker, Xiu Xiu s’ouvre et The Air Force est son album le plus accessible, celui où les névroses et les obsessions de Stewart se font les plus proches de nous, où Xiu Xiu parvient enfin enfin à nous faire partager sa souffrance de manière presque viscérale. Mais il apparaît aussi comme un premier pas vers la sérénité, l’appel timide de l’espoir se fait entendre au détour des nombreuses bifurcations que la musique emprunte, au milieu de ce gigantesque trou noir, de ce concentré de misère humaine, imprégné de spleen et de désespoir.

« Save Me », à ce titre, est une percée pop et lumineuse, signifiant bien que tout n’est pas perdu, qu’il reste malgré tout cet appel, une bouteille à la mer qu’on s’empresse de saisir. The Air Force n’est pas un album facile, mais il est plein d’idées géniales qui font qu’on s’y raccroche à chaque instant, pour ne plus s’en séparer : incursions électroniques tétanisantes, ainsi le climax de « Bishop, CA », ou encore les basses numériques sinueuses qui tapissent de velours presque chaque morceau, en contrepoints envoûtants à la tristesse déchirante du chant de Stewart.

La douleur rentrée de « Hello From Eau Claire », chantée par une voix féminine, succède à l’urgence de « Boy Soprano », la nudité frémissante de « PJ in the Streets of London » ne peut se concevoir qu’après le crescendo final de Vulture Piano » : l’album alterne ainsi entre tension et accalmie dans une construction parfaite, qui nous fait ressentir au plus profond les douloureuses blessures que peut contenir une telle musique. Un drame intérieur, celui de Stewart, sous-tend l’ensemble, les chansons déclinent doucement, puis subitement elles sont prises de soubresauts frénétiques, elles se relèvent, elles crient leur détresse, et retombent enfin.

« Wig Master », le morceau qui clôt le disque, est-il apaisement ou renoncement ? Que signifient ces cordes lancinantes au bord de la rupture et de l’assonance qui accompagne la voix fragile de Stewart ? Quelle interprétation donner à cette conclusion sur le fil du rasoir ? L’avenir nous le précisera, mais nous continuerons à suivre assidûment le cheminement intérieur de James Stewart, démiurge bouleversant.

– Le site officiel de Xiu Xiu