Brel, le monument, méritait que le jazz vienne un jour le dépoussiérer. Faire taire le mythe pour mieux l’entendre. Puis l’écouter pour mieux le faire chanter. Le trompettiste méridional Patrick Artero et le contrebassiste-arrangeur Vincent Artaud sont deux musiciens qui ont de la suite dans les notes et des idées plein les instruments. Au point d’accorder leurs talents mutuels pour revisiter l’oeuvre d’un Jacques Brel déboussolé, à qui ils font voir du pays plus que de raison, notamment du côté des Caraïbes, du Brésil ou de l’Argentine (“Madelaine”, “Les Flamandes”, “Knokke-le-Zoute Tango”), tout en piochant dans son répertoire quelques précieuses raretés (“Le Diable (ça va)”, “A Jeun”, “La Mort”, “Jaurès”, “Dors Ma Vie”) plutôt que ses sempiternelles chansons qui ne nous quittent plus. Entourés de onze musiciens, dont une section de cuivres, les deux compères tirent les thèmes du grand belge de tous côtés comme pour les faire céder, leur tordre le cou et les sortir du formol qui menaçait de les figer à jamais. A ce petit jeu de sauvegarde désinvolte et de réappropriation débonnaire, Giovanni Mirabassi s’avère être un fin limier (cf. aussi ses participations au récent projet « Standard Visit »). Son piano virevolte et danse avec l’entrain de celui qui puise dans les mélodies d’autrefois une musicalité sans faille. En tête à tête avec Artero sur une superbe version dépouillée d’“Amsterdam”, il touche des doigts l’essence d’une musique populaire capable d’extraire de nos misères lamentables un or noir aveuglant, et à laquelle ce disque rend le plus singulier des hommages.

– Le site de Patrick Artero.
– Le site de Nocturne.