Deuxième album pour Moonman, artiste français qui multiplie les casquettes – ou les Stetson de cow-boy, à en croire la pochette de Necessary Alibis. Dans ce voyage initiatique, nul doute que notre boussole qui indique toujours le nord (de la musique américaine) nous sera d’un grand secours.


Si Moonman s’est imposé, depuis 2003, comme un artiste français particulièrement inventif, rappelons rapidement les grandes lignes de son CV, déjà bien garni, à ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de croiser sa route. Homme-orchestre, Moonman est avant tout musicien et compositeur – on lui doit à ce jour un premier album, Manipulators, et une compilation Letters to the Dearest. Il gère également son propre label, Greed Recordings, par lequel il distribue l’album qui attire notre attention aujourd’hui, Nessecary Alibis, mais également les productions de ses collègues Cornflakes Heroes.

Passionné de guitare et des potentialités sonores, sinon plastiques, de cet instrument, Moonman est également l’auteur d’une trilogie remarquée, celle des Pièces pour Guitares Préparées, aux frontières du post-rock et de la musique expérimentale. Distorsion, répétion, sampling, filtres divers : telles étaient les manipulations que Moonman imposait à son instrument de prédilection, révélant ainsi une musique hautement affective, d’où suintait par instants une colère rentrée. Car Moonman, tout comme Slint ou Windsor For The Derby avant lui, a décelé dans cet instrument, si caractéristique du rock, les prémisses de son dépassement.

La fascination américaine est toujours présente sur ce deuxième album, avec, cette fois-ci, une admiration non dissumulée pour les groupes à guitares, notamment celles de Lou Barlow ou David Pajo à leurs débuts. Le son général de cet album se veut plus abrasif, plus concis, là ou Letters to the Dearest prenait le parti d’une musique acoustique. Necessary Alibis renoue en effet avec l’immédiateté du rock, sans pour autant se laisser berner par les facilités du genre. “Necessary Alibis” s’écoute comme un inédit d’un Slint qui revendiquerait une prétention pop. Même guitare métallique aux arpèges alambiqués, même batterie feutrée, même art de la composition à tiroirs, Moonman se démarque cependant par un chant qui monte volontiers dans les aigus. Il nous épargne aussi le déluge de guitares assourdissantes souvent de rigueur dans le monde du post-rock, grâce à une progression maîtrisée. Le renvoi à Slint comme référence séminale du genre ponctue l’album, par notes plus ou moins discrètes : “Victim of Your Own Device” se présente ainsi comme le complément, forcément anachronique, de “Nosferatu Man” du groupe de Louisville.

“Careless Cigarette Burn” impose un rythme plus soutenu, avec un vrai refrain haut-perché, rappelant en filigrane Doug Martsch. “Mascara and Glitch” emboîte le pas, en délivrant un rock nerveux et carré. Le chant s’efface pendant un temps, laissant place à un set de guitares imposantes, bientôt adoucies par l’intervention de cuivres. Seules quelques accalmies acoustiques viennent tempérer cette énergie électrique qui iradie l’ensemble de l’album : Moonman opte alors pour des arpèges et un chant de haut-vol, sublimés par quelques nappes de cordes (“Female Demography”) ou par les harmonies tout en rondeur d’un clavier (“Self Made Man”). Une fois seulement, il passe en mode acoustique, pour une réminissence très réussie du précédent Letters to the Dearest (“Smother”), teintée d’harmonica.

Néanmoins, et comme pour mieux réaffirmer le parti pris de l’électricité, ces plages plus calmes sont immédiatement suivies de brûlots rock où des guitares martèlent des thèmes acérés, comme sur l’énergique “Lipstick Rebel”, qui évoque l’univers de Blonde Redhead.

En artiste intègre, sinon intégral, Moonman pousse jusqu’à son paroxysme ce même parti pris avec le final “Team of Secret Rivals”, véritable album dans l’album avec ses quatre parties enchaînées. Toujours en bon disciple de Slint, il expérimente avec ce morceau les différentes textures de la guitare électrique : arpèges nerveux ou plus dociles (Part. 1), nappes bruitistes esquissant un rock atmosphérique (Part. 2), accords métalliques et répétitifs ou brouillage aléatoire (Part. 3). Cette quadrilogie déconcertante s’achève sur un finale particulièrement complexe, renforcé par la collaboration de son camarade Lunt, qui pousse dans ses derniers retranchements la dimension expérimentale du projet. Majoritairement instrumental, à l’exception de voix samplées et de la partie chantée de “Part. 3” – et son clin d’oeil à … Supertramp ! – “Team of Secret Rivals” dévoile une facette plus inventive, plus radicale aussi de l’univers de Moonman. Un univers contrasté, forcément passionnant, auquel Necessary Alibis confère une profondeur supplémentaire.

– Moonman sur Myspace