Le rock n’est pas mort. Sharko nous démontre avec force que l’on peut concocter de très bons menus dans des vieux chaudrons.


Autant le dévoiler immédiatement, Molecule est un disque tout simplement énorme. Lui trouver une unité directionnelle, une cohésion, est tout simplement impossible, sauf à asséner le fait qu’à peu près tous les styles qui ont, à une époque ou une autre, fait bouger les foules sur des sons tranchants et noirs y sont visités, que dis-je, recrachés. Imaginez un patchwork de tout ce que vous avez toujours adoré, le punk, le prog, les ballades folk, les 80’s et bien d’autres, et vous aurez une idée assez vague de tout ce que Sharko explore ici.

D’emblée, « Bug », le titre d’ouverture, semble tout droit sorti d’un vieil album de Pink Floyd, époque grandiloquente pré-The Wall. « Sweet Protection » piétine les plates-bandes des Smashing Pumpkins, circa Adore (sublime album injustement décrié). « Motels » est probablement le titre le plus ancré dans son époque, en cela qu’il évoque les Smiths revisités par feu-Bloc Party. Maintenant que ces amuse-gueule 3 étoiles vous ont ouvert l’appétit et que vous vous apprêtez à vous offrir un repas pantagruélique, « Trip » vous décoche un uppercut suivi d’un pilonnage en règle direct dans le foie, comme The Fall en ses temps de gloire, et terminé la gaudriole ! Heureusement, « I Need Someone » vous permet de vous reposer entre deux rounds. Mais faites vite, « No More I Give Up » refuse de vous laisser souffler, les Talking Heads ne supportaient déjà pas les avachissements. Maintenant que vous êtes bien chauds, « Sugarboy » vous plonge fissa dans les meilleurs moments des Pixies (y en a-t-il eu des pires ?) en duo avec les REM période Murmur, pas moins. Et au moment de vous lancer dans un pogo à tuer tout le monde, « Love Is A Bug » vous mène par le bout des doigts dans les années 50, au pied d’une scène littéralement habitée par Roy Orbison.

Sharko a tout compris de l’histoire de la musique, jette un pont entre toutes les époques, et va même chatouiller Gorillaz sur son terrain avec l’irrévérencieuse « Skish Hee, I’m Gonna Make It ». Et au moment de se lâcher sur le dancefloor, Sharko tâcle The Strokes par derrière en convocant les Undertones passés au mixer Pixies (encore) sur la bien nommée « Rock 1 », torch-song dévastatrice. Et David Bartholomé, sûr de son fait, de conclure sur « No Contest », ballade champêtre avec ses la-la-la de rigueur, par un « No contest, I am the best » péremptoire, tout ce qu’il y a de plus lucide.

Mais n’ayez crainte, si d’ordinaire une longue litanie de références fait souvent craindre des disques scolaires, ce n’est absolument pas le cas ici. Sharko a déjà suffisemment démontré dans le passé (exceptionnel III, un disque qui tourne encore et toujours) qu’il s’agissait d’un groupe à très forte personnalité et à l’érudition remarquable. Et David Bartholomé, en plus de manquer outrageusement de respect et de posséder une voix hors du commun, est un songwriter de très haute volée, avec un sens de l’accroche et de la mélodie pour le moins exceptionnel. Sans parler du groupe, parfaitement carré, rentre-dedans et agressif à souhait. Sharko fait dorénavant partie des très grands.

D’aucuns diront probablement que ces 33min09 (oui, ça suffit pour tout faire sauter) constituent un vrai chef-d’oeuvre. Sans aller jusque là (mot ô combien galvaudé), il est d’ores et déjà évident que Molecule est un disque qui sera présent à l’heure des bilans de 2007, et probablement en très bonne place. Une cure de jouvence salutaire, mais un sacré coup de pied au cul quand même.

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