Avec un premier album de folk racé et ambitieux, ce nouveau venu aux parents célèbres fait déjà montre d’une maturité et d’une originalité porteuses des plus belles espérances.


Ash Wednesday commence là où la vie prend congé d’elle-même. Parmi les victimes du 11 septembre 2001 figurait la mère d’Elvis Perkins, Berry Berenson, une actrice et photographe très appréciée outre-atlantique. De cet impossible retour d’un être aimé est né un disque où le malheur est habilement transcendé, dans lequel le travail de deuil ne vire jamais à l’épanchement larmoyant. Cette distance prise avec soi et les événements, avec la part la plus tragique d’un destin qui brise à l’aveugle l’existence, s’avère être la première bonne surprise de Ash Wednesday, album à la mélancolie universelle plutôt qu’égotique. Ce choix (c’en est un, assurément) de se placer à la lisière de l’autobiographie, de faire de la perte (de la mère, mais aussi du père, l’acteur Anthony Perkins étant décédé du SIDA en 1992) le motif d’une écriture métaphorique, à l’endroit où beaucoup auraient noirci le tableau et sans doute surchargé le fardeau, impose d’emblée Elvis Perkins comme un songwriter pudique, conscient d’être exposé mais peu enclin au déballage sentimental.

Scindé en deux par un morceau-titre qui sépare les compositions écrites avant puis après le terrible drame, Ash Wednesday s’attache à cautériser les plaies et envisager l’avenir sans s’appesantir sur la fatalité des faits. En ce sens, les textes privilégient une approche onirique, rêves fugaces, images mentales, humbles prières, tragédies imaginaires se succèdent à la mesure d’une plume déjà assurée de sa pertinence. Aucune échappatoire que ces visions auraient pour tâche toutefois de substituer au réel : l’horreur assassine, le caractère aléatoire d’une mort absurde frappant les innocents émergent en filigrane et nourrissent une réflexion sur la fragilité de la vie, mais qui s’emploie à ne pas se parer des oripeaux communément admis du politique. La mesure n’a pas vocation à éluder les faits tragiques, tient lieu plutôt d’une insoumission à l’engagement artistique en vigueur (cf. les récents albums de Bruce Springsteen ou Neil Young par exemple), et privilégie la méditation poétique au discours rentre-dedans (en ce sens, Perkins serait à rapprocher de M. Ward).

Peu rompu au discours politique frontal, Elvis Perkins ne l’est pas davantage à l’économie folk habituelle ou au minimalisme lo-fi. Certes, on le surprend sur deux morceaux accompagné de sa seule guitare (“It’s Only Me”, “It’s a Sad World After All”), mais sinon tous les autres mettent à l’oeuvre une palette instrumentale d’une grande richesse chromatique. Un harmonica, un violon, un mélodica, une trompette, une contrebasse, un banjo, une guitare électrique, des claviers, des choeurs féminins, un harmonium et un piano font ainsi des apparitions remarquées et sont agencés avec beaucoup de finesse (à l’instar des interventions instrumentales sur “While You Were Sleeping”, qui joue l’effet de surprise et contribue à rendre le morceau particulièrement prenant et émouvant). Musicien dès son plus jeune âge, Elvis Perkins affiche à 31 ans un mélange de spontanéité et de rigueur qui ne trompe pas sur l’étendue de ses capacités actuelles : l’efficacité de ses refrains, la simplicité de ses ponts, l’inventivité de ses arrangements, la justesse de son jeu respirent l’évidence plus que le dur labeur.

Elevé entre Los Angeles et New York, Elvis Perkins a d’abord appris le saxophone, la guitare classique et la basse avant de tourner dans les clubs de L.A. avec une formation plus rock, croisant souvent la route de ses amis d’Okkervil River (ou plus récemment celle des Clap Your Hands Say Yeah). Sur Ash Wednesday, on trouve notamment à ses côtés le bassiste Brigham Brough, le guitarite Wyndham Boylan-Garnett et le batteur Nicholas Kinsey (remplacé sur certains titres par Gary Mallaber, le batteur de Van Morrison sur Moondance) et son frère Osgood Perkins aux tambours. Toute une famille de musiciens (baptisée Dearland) qui tourne avec lui depuis quelques années, au sein de laquelle la musique fait office de langage commun sans entraves. Un langage parfaitement rôdé, mais aussi ouvert à quelques incertitudes judicieuses (la production ne tranche pas entre saisie sonore brute ou raffinement) et métissages convaincants (avec le folklore de la Nouvelle Orleans, le ragtime et le music hall). Perkins possédant par ailleurs un organe vocal contrasté et haut perché, dont certaines inflexions associées à une orchestration idoine évoquent par moments le chant de Rufus Wainwright (comme sur “Sleep Sandwich”), il peut se permettre sans être ridicule de hausser le ton, de chuchoter ou d’aspirer à l’élégie. Puissance expressive de la voix qui ne s’enferme dans aucun style à la faveur d’une multiplicité manifeste.

Refus d’une assignation brutale au contemporain, propos en contre-bande, détermination d’esthète, plaisir du jeu en groupe, sens mélodique affûté : il est encore trop tôt pour prétendre avec assurance qu’Elvis Perkins est un grand songwriter, mais Ash Wednesday témoigne de suffisamment d’intelligence et de désirs pour que nous nous montrions des plus optimistes à son sujet.

– Le site de [Elvis Perkins
->http://www.elvisperkins.net/].

– Elvis Perkins sur Myspace.