Des ballades estropiées et des dérives post-rock pastorales, fruits d’une réunion improbable de metalleux radicaux. Ce phoenix noir boiteux essaime une mélancolie fascinante.


Qu’advient-il lorsque quelques architectes du riff extrémiste rangent au placard leurs instruments de prédilection pour pactiser ? Des ballades folk crépusculaires, pardi ! Car contre toute attente, l’oiseau Crippled Black Phoenix renaît de ce feu-là. Geoff Barrow, éminence noire de Portishead et patron du label anglais Invada Records, s’est entiché de ce monstre protéiforme regroupant pas moins de neuf musiciens, réunis autour du maître d’oeuvre Dominic Aitchison, illustre guitariste de Mogwai. Hormis la mention de cette institution du post-rock, le reste des antagonistes nous sont inconnus, sévissant au sein d’obscurs combos qui répondent aux doux noms cosmiques d’Electric Wizard, Esoteric, Pantheist, 3D House of Beef… Dans un monde parallèle, le chemin de croix de ces pèlerins de l’enfer mènerait à Lourdes (comprendre Heavy en anglais), un sanctuaire dédié au Metal expérimental où Doom, ambient et Stoner rock sont familiers du jargon. A Love of Shared Disasters s’avère donc pour le moins surprenant – du moins de la part de musiciens habitués à battre le fer au rythme de power chords.

Difficile de trouver un équivalent actuel à cet objet psychédélique fourre-tout, que l’on considérera comme un étrange cousin du délirant Yerself is Steam de Mercury Rev. Car il n’est point question d’anarchie rock ici… non, Crippled Black Phoenix, ce serait plutôt le répit entre deux batailles, le carnet intime et dépressif du soldat, tenu sous les bombes nocturnes. L’artillerie lourde a été déposée provisoirement sous une tente au profit d’une guitare acoustique confidente, d’un piano poussiéreux, de quelques violons virevoltants… A l’écart du chaos environnant, le temps est à la mélancolie introspective, la mort en arrière-fond.

Le décor posé, Crippled Black Phoenix peut se permettre de falsifier les identités musicales. Sans véritable canevas de style, on passe spontanément de l’ombre à la lumière, de l’harmonie à l’expérimental, quitte à secouer l’auditeur, tantôt rebuté ou hypnotisé. Ainsi “The Lament of the Nithered Mercinary”, cérémonie viking macabre, nous accueille dans un climat brumeux à la gravité abyssale, franchement oppressante. Il n’est pas bon d’errer dans ce no man’s land d’outre-tombe… Déboussolé dans ce néant cauchemardesque, le songwriting reprend pourtant progressivement du terrain le temps de quelques sublimes ballades et nous offre quelques repaires : arpèges magiques et effrénés (“Suppose I Told the Truth”) ou encore mélo sudiste (“Goodnight, Europe”) se marient avec le chant épuré d’Andy Semmens (Esoteric, Pantheist), une révélation. Dans ces moments d’émotion exacerbée, l’ombre d’Okkervil River n’est franchement pas loin, c’est dire le niveau.

Le sentiment est plus mitigé sur les figures instrumentales, exécutées sans filet dans un esprit psyché rock 70’s qui n’est pas exempt de fautes de goûts. A une ou deux reprises, on surprend quelques rallonges, prétexte à des solos de guitare marathon, un brin soporifiques. Bien heureusement, ce n’est pas toujours le cas. A son meilleur, A Love of Shared Disasters sonne la charge épique où fusent quelques fines trouvailles : voix off solennelle, trompettes capitulées et séance occulte nous emportent dans une spirale à haute teneur tragique. Le disque se clôt d’ailleurs en apothéose, “Sharks & Storms/Blizzard of Homed Cats”, dix minutes d’odyssée folk aux arrangements de cordes somptueux. Dans cette ultime figure, le phoenix boiteux déploie alors ses ailes. L’oiseau a beau être blessé, sa parade reste étourdissante.

– Le site de Crippled Black Phoenix

– La page [Myspace->
http://www.myspace.com/crippledblackphoenix]