Dans le cadre de notre dossier consacré au rock, rencontre avec François Bégaudeau, l’auteur du remarquable et très remarqué Entre les murs, un roman sorti chez Verticales en 2006, qui ne cache pas par ailleurs sa passion pour le rock’n’roll des années 60-70.



Né en 1971, ce professeur de collège en ZEP attaché au caractère pédagogique de la langue orale, amateur éclairé de foot (nantais), écrivain prolixe, collaborateur de diverses revues (Cahiers du cinéma, Inculte, Transfuge) et chroniqueur littéraire (La matinale de Canal +), a écrit un livre incontournable pour qui s’intéresse au rock, Un démocrate, Mick Jagger 1960-1969 (Naïve, 2005), qui nous a donné envie d’échanger davantage avec lui sur ce sujet. Une conversation, via le net, où les points de vue, parfois divergents, témoignent des principaux enjeux d’hier et d’aujourd’hui qui ont trait à cette musique.

Pinkushion : On vous connaît comme romancier (Jouer juste, Dans la diagonale, Entre les murs – livre sur lequel vous travaillez actuellement à une adaptation cinématographique avec le réalisateur Laurent Cantet, l’auteur de Ressources humaines et L’Emploi du temps), critique régulier aux Cahiers du cinéma, mais un peu moins comme musicien. Vous avez pourtant, au début des années 90, joué et surtout chanté dans le groupe punk culte Zabriskie Point, un nom qui renvoie au film éponyme de Michelangelo Antonioni et à toute une mouvance libertaire des 70’s. Avec le recul, que vous inspire cette période de votre vie ?

François Bégaudeau : J’ai aimé faire ça de 92 à 99, j’ai aimé qu’on fabrique quatre albums en sept ans et partir avant la trentaine, cela collait parfaitement avec la densité fulgurante du rock qui nous avait fait rêver quand nous étions ados. J’ai aussi aimé faire voyager ainsi l’amitié avec les quatre autres. Aujourd’hui, je réfléchis beaucoup à ces années : en quoi étions-nous forts, en quoi étions-nous limités, qu’est-ce que je referais pareil, qu’est-ce que je changerais, etc.

Je crois que vous avez signé sous le pseudo Ramone vos premiers articles dans les Cahiers du cinéma. Les Ramones étaient a priori une de vos influences principales à l’époque, quelles étaient les autres ?

Les références communes au groupe étaient, au début, les Wampas, les Clash, les Ramones. Après, en cours de route, on a découvert Nofx, Green Day, Minor Threat, les 999, les Undertones, etc.

Etiez-vous des musiciens vraiment expérimentés ou le groupe est-il plutôt né de rencontres et d’une envie commune de faire du rock ensemble ?

On était absolument pas expérimentés, et absolument décidés à ce que ce groupe soit notre seule aventure musicale. Bon, deux d’entre nous ont continué par la suite, je leur en veux un peu mais je les comprends.

Dans votre livre Un démocrate, Mick Jagger 1960-1969, vous rappelez que les Stones n’étaient pas forcément de grands musiciens à l’origine. Selon vous, cette donnée a-t-elle été fondamentale à l’avènement de ce groupe ?

A l’avènement du rock en général. Je le crois profondément : non seulement l’aisance musicale ne permet pas forcément de bien composer du rock, mais souvent elle fait obstacle au swing, à la simplicité, à la crudité qui caractérisent le rock.

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Vous écrivez dans ce livre que Mick Jagger est né à 17 ans, en 1960, sur le quai d’une gare de l’accouplement d’un train et de la foule. Tout le rock est là, sur ce quai, une émulation a littéralement lieu, la vitesse, l’énergie, le mouvement, l’électricité, le défilement, la sueur… le rock avait-il existé avant ce jour ?

Oui, bien sûr, le même genre d’étincelles s’est allumé avant, ailleurs, sous d’autres formes. Pour donner lieu au blues, à Elvis, à Chuck Berry. Quelque chose de cet ordre avait aussi dû, auparavant, traverser Nietzsche (je crois que le rock aurait plu à Nietzsche comme musique dyonisiaque, affirmative, active, comme musique de la joie tragique).

Les Stones ont été élus par la foule, c’est elle qui, de musiciens connus, en a fait des musiciens reconnus et géniaux, qui les a poussés à se dépasser en faisant corps avec elle. Ce rapport à la foule est-il fondamental ?

C’est ce que j’appelle démocratie. Le rock est toujours l’émanation d’une électricité collective dont l’artiste est un conducteur provisoire. L’époque fabrique de l’énergie, le rocker la prélève et la rend (en l’amplifiant, of course).

Dans U.S. Go Home, Claire Denis a filmé comme personne cette foule en train de danser. L’histoire du film se déroule justement à la fin des années 60, et la cinéaste s’attache à montrer, à rendre de manière sensorielle l’attraction musicale entre la jeunesse et le rock, la capacité du rock à libérer les pulsions, à faire circuler le désir. Lorsque les corps sont las, vidés, le film peut s’arrêter. Cela Mick Jagger l’a compris mieux que tout le monde : il est un corps dansant, « l’incarnation instantanée de la musique » pour vous citer, un médiateur entre la musique et la foule. Pour lui aussi, ne plus danser, c’était synonyme de mort, non ?

Même si je ne m’intéresse pas du tout à ce que sont les Stones aujourd’hui, je pense pouvoir dire que c’est encore le cas. Jagger ne veut pas mourir, pas vieillir, il veut pouvoir être jeune jusqu’au bout. Il fait partie de cette génération pour qui la jeunesse a presque été une valeur en soi, et qui donc peine à la lâcher. Je le comprends intimement, je suis pareil. Comme dit à peu près Pialat dans Sous le soleil de Satan : je crois que j’arriverai jamais à être vieux.

Selon vous, ce corps à corps physique avec la foule a permis, un temps à tout le moins, au groupe de s’oublier en quelque sorte, de ne pas devenir des artistes, c’est-à-dire de ne pas faire de l’art. Un rocker, pour être grand s’entend, ne doit pas être pleinement conscient de ce qu’il fait. Est-ce la maîtrise qui tue en fin de compte le rock ou une certaine idée du rock ?

Oui, je pense qu’un rocker n’est grand que tant qu’il ne comprend qu’à moitié ce qu’il fait. C’est pour cela que les premiers albums sont souvent les meilleurs. A ce moment, le rocker s’est placé au coeur d’un cyclone qui le porte. Après arrive le temps où il se ressaisit. A ce moment on passe à autre chose que j’appelle l’art, et qui est la créativité en soi, coupée de la vie.

Dans One+One, le film de Jean-Luc Godard, les Stones apparaissent laborieux, on y voit ce mélange à la fois de concentration et de je-m’en-foutisme, ils sont à la fois pros et pas du tout, à la fois livrés à eux-mêmes et déjà encerclés par la mort, les producteurs, la machine commerciale, etc. La caméra de Godard va et vient avec une constante douceur, une certaine grâce, se faufilant entre les paravents de la pièce où le groupe répète et ceux des coulisses, reliant ainsi tous ces mondes. Cette période de 60 à 69 correspond t-elle à une sorte d’utopie où commerce et musique allaient de concert sans se nuire ?

Oui, c’est ce que j’essaie d’expliquer en comparant l’industrie du rock dans les années 60 avec l’industrie hollywoodienne à l’âge classique, toutes deux marquées par un deal au sommet (et parfois très compliqué à tenir) entre des producteurs convaincus que la qualité paye, et des artistes convaincus que l’art qu’ils pratiquent a tout à gagner à se plier pour une part aux attentes de plaisir du grand public.

D’un point de vue sociologique, le rock a basculé au fur et à mesure que l’individualisme a pris le pas sur la notion de collectif. Comme vous l’écrivez très justement, les années soixante sont « d’obédience groupiste » et les soixante-dix « d’obédience soliste ». En fait, le rock n’aura pas su contrer la marche libérale de la société (le punk s’y essaiera plus tard). C’est toute la cruauté de la situation : la foule l’aura porté au pinacle un temps mais lui aura été incapable en retour de la consolider sur la durée. Un jour, elle lui échappe, il ne la tient plus. A partir du moment où musiciens et auditeurs aspirent à une plus grande autonomie de pensée et d’action, le rapport de confiance se dérègle, chacun joue dans son propre camp, secrète son propre système de protection, construit son « abri ». C’est pour cela que l’histoire des Stones est perçue comme une sorte de tragédie dans votre livre, leur mort était écrite d’avance.

Une tragédie, je ne sais pas, mais ce qui vaut pour les Stones vaudrait pour tous les groupes de rock : une telle immersion dans la houle de leur époque n’est pas tenable plus de quelques années. Cela dure peu, cela durera toujours peu (voir récemment les Libertines, mais aussi le second album des Arctic Monkeys, beaucoup trop réfléchi). Après, je ne sais pas s’il faut parler d’une opposition à la marche libérale de la société. C’est plus compliqué. Le rock, sur bien des aspects, est de type libéral-libertaire.

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D’ailleurs votre livre aborde finalement les Stones presque uniquement sur ce versant sociologique. Pourquoi ne pas avoir davantage traité la dimension esthétique de leur musique ?

Sociologie n’est pas le mot – par exemple, je ne distingue jamais entre classes, précisément parce que le rock a eu cette grandeur de charrier toutes les classes. D’autre part, j’essaie de restituer le type d’énergie qui anime les années 60, laquelle énergie est la source à laquelle s’alimente le rock. C’est donc bien d’esthétique que je parle, même si c’est pour démontrer que la pure esthétique ça n’existe pas. Que l’art n’a de sens que s’il est branché sur autre chose que lui. Par ailleurs, je développe pas mal de choses sur qu’est-ce que chanter, qu’est-ce qu’un morceau de rock, etc. En fait, je voulais faire un livre impur où les considérations biographiques, esthétiques, politiques, historiques, anecdotiques, se mêlent sans qu’aucune ne prédomine. La vie est ainsi faite, un individu est ainsi fait.

Pour en revenir aux Arctic Monkeys que vous abordiez plus haut, le phénomène autour de ce groupe est-il comparable à celui des Stones dans les années 60 ?

On parle donc de ce qui s’est passé sur le premier album. Plutôt qu’aux Stones, je les comparerais aux dizaines de groupes de rock qui, au cours de l’histoire, ont connu ce genre d’avènement fulgurant. C’est ça le rock : des gamins de 19 ans qui n’ont même pas fait exprès de commettre des tubes et sur qui s’abat une vague d’amour et d’enthousiasme. Maintenant, il faut bien voir que, là où les Stones ont pu être totalement surpris de ce qui leur arrivait parce qu’ils étaient les premiers, tous ceux à qui ça arrive maintenant connaissent la musique. La connaissent même un peu trop. Par définition on ne retrouvera jamais la fraîcheur de la première fois.

Comme vous l’écrivez encore dans Un démocrate, Mick Jagger 1960-1969, les grands musiciens sont «une éponge résolue à recracher au centuple l’eau salée qu’elle absorbe ». Le problème, actuellement, c’est que la plupart des groupes de rock recrachent exactement l’eau qu’ils avalent. Ils absorbent l’eau de la foule et lui redonnent sans l’avoir filtrée. Pire, c’est la foule qui crée les éponges à son image et n’a plus qu’à les presser pour autosatisfaire sa soif. Les Arctic Monkeys n’échappent pas à ce processus : c’est (déjà) un groupe de vieux adorés par des jeunes qui reconduisent par procuration les goûts de leurs parents et entretiennent l’âge d’Or du genre. Pas de danger, tout est dans l’abri, bien calfeutré, avec la police qui rode dehors pour chasser le loup. Rien à voir avec l’énergie des Stones qui embrassait comme elle pouvait sur la bouche son époque. Le groupe de Mick Jagger réinventait le rock, à sa manière, c’est-à-dire sans en faire, des manières. Là, j’ai le sentiment que l’on a affaire à une pure reproduction de modèles, avec un semblant de fraîcheur et d’efficacité. Le rock peut-il être autre chose que nostalgique à présent ?

Pas nostalgique dans son énergie. “I Bet That You Look Good On The Dancefloor”, c’est du rock, c’est donc le contraire de la nostalgie. Mais il est bien sûr que la scène rock donne toujours l’impression de rejouer quelque chose qui a eu lieu. Surtout les Anglais, qui adorent se rejouer les Beatles. Alors soyons clairs : du point de vue de ce que chamboule le rock, rien n’égalera la première fois : les années 60. Ma vie avec le rock se concentre maintenant, non sur les « phénomènes » ou sur la vie médiatique du rock, mais sur la musique, sur la pérennité des fondamentaux : swing, énergie, grimace, joie tragique, humour écorché, érotisme, frénésie. Là-dessus on est servi, chaque mois nous arrivent des morceaux aussi forts que “Paint It Black”.

Ne croyez-vous pas qu’aujourd’hui, pour être reconnu, un groupe rock doit avant tout adopter une posture pseudo contestataire, afficher un style vestimentaire ad hoc, avoir la coupe à la mode, et ensuite, éventuellement, jouer du rock. La musique n’est plus qu’un élément parmi d’autres.

Le moindre lycéen du moindre quartier de la capitale du Pérou s’habille aussi comme ça, donc pourquoi pas les groupes aussi ? Les cheveux rouges sont devenus très courants, tant mieux, simplement ils ne sont plus une marque de rébellion. Mais, à vrai dire, je ne crois pas que la rébellion soit un horizon intéressant pour le rock. Les Wampas chantent la joie de faire du rock et d’être au monde. Le rock dit toujours cela. Ce qui me fait surtout marrer, c’est ces groupes américains qui font beaucoup de bruit assez métal avec leurs guitares, et pondent des espèces de mélodies très variétoches avec des paroles genre « sans toi je meurs ».

Il y a une scène que j’aime beaucoup dans Last Days, le film de Gus Van Sant, celle où Blake répète seul avec une guitare et un échantillonneur dans un pavillon, alors que la caméra, située à l’extérieur, fait un lent travelling arrière. Les sons entremêlés s’accumulent sous forme de boucles, de loops, tandis que comme souvent chez Gus Van Sant le travelling figure une sorte de dilatation du temps (cf. aussi les couloirs temporels dans Elephant), comme si le rock se cherchait et se perdait dans la répétition du même, puis tendait vers autre chose de plus métaphysique (la caméra recule et finit par englober tout l’espace environnant).

Je ne vois pas cette scène comme vous. Je n’y vois pas une dépression du rock. Plus généralement, je ne suis pas sûr que Gus Van Sant entende expliquer le suicide, pas plus qu’il n’expliquait la tuerie dans Elephant.

Je suis bien d’accord avec vous sur cette volonté de la part de Gus Van Sant de ne pas délivrer La solution. Par ailleurs, j’aime bien l’idée, ardemment défendue par Truffaut au milieu des années 50, qu’un film peut nous amener au-delà des hypothétiques intentions du réalisateur. De fait, disons malgré lui alors, ce film me paraît emblématique de la position de la rock star : Blake vit reclus dans une bâtisse isolée, fait figure presque d’autiste perdu dans son monde, ne joue plus que pour lui-même, la foule est hors-champ. Et il meurt dans son abri. Le rock peut passer à autre chose…

Oui, mais là encore je doute que Van Sant ait voulu dire quelque chose sur le rock. Plutôt sur Kurt Cobain, qui incarne un moment assez glauque du rock, et s’inscrit finalement dans une tradition de poètes mélancoliques. La découpe est toujours la même : Nirvana et les Pixies sont contemporains, à chacun de voir quel type d’humeur il préfère développer. Pour moi, il n’y a pas photo.

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Loin de moi la volonté de pleurer la mort du rock, au contraire bien vivant. Seulement, je me demande dans quelle mesure le rock ne se joue pas à présent ailleurs que chez ces groupes qui renvoient directement aux années 60-70, qui font du rock comme s’ils exposaient dans un musée. Je trouve assez déprimante cette volonté de faire comme si les choses étaient toujours les mêmes, de nier les avancées technologiques en matière de son. Car plus que la scène, le rock trouve son essence dans l’enregistrement en studio, au point que bien souvent on considère l’ingénieur du son comme un membre à part entière du groupe. Cela, les Beatles ne l’ont-ils pas compris bien avant les Stones ?

Les Beatles étaient davantage un groupe de studio. Ils ont eu le temps de peaufiner des arrangements, de faire entrer des sons très subtils dans leur musique. Alors que les Stones, du moins au début, composaient dans l’urgence des tournées. Cela s’entend sur les albums et c’est ce qui me fait préférer les Stones. Je préférerais toujours le grincement crade des guitares à la perfection pop (que je peux apprécier quand même par ailleurs). C’est en ce sens que, tout en saluant l’inventivité occasionnée par les nouvelles technologies, je constate avec joie que la seule guitare électrique continue à faire des ravages, qu’on peut encore en tirer des morceaux nucléaires (Voir les deux albums d’Art brut, ou les Queens Of The Stone Age, ou les Wampas qui n’ont jamais lâché sur la simplicité foutraque de leurs débuts ; et la main droite de Billy Joe Amstrong).

Que pensez-vous des groupes qui prennent acte de l’impossibilité à refaire le rock d’avant, qui inscrivent cette impossibilité dans la matière même de leur musique ? Notamment TV On The Radio ou Clap Your Hands Say Yeah, chez qui cette impossibilité fait partie intégrante du son de leur dernier album.

Je ne connais pas bien. En tous les cas, je n’adhère pas, ni en rock ni en littérature ni en cinéma, avec cette rhétorique de « l’impossibilité désormais de … ». C’est faux. On peut tout écrire, tout jouer. Quand je composais, je n’étais bridé par rien. J’essayais de pondre des bons morceaux, cela a été le cas parfois, et quand ça ne l’était pas, cela ne tenait qu’à la relativité de notre talent. Les Kings Of Leon font du rock sudiste, ça passe très bien, ils ont même fait une des dix plus grandes chansons de l’histoire du rock (“King Of The Rodeo”).

Il y a un point qui me paraît aussi important, et que vous n’abordez pas vraiment dans votre livre, c’est la notion d’album, je veux dire l’objet vinyl ou CD. Les Stones ont vécu ce basculement capital qui a vu l’album l’emporter sur le concert. Petit à petit, le concert s’est transformé en acte promotionnel, le rock n’a plus été une musique de scène, mais une musique de studio, archi fabriquée. Les gens ne venaient plus dans les salles pour découvrir un groupe mais pour s’assurer qu’il existait bien. Que pensez-vous de cette mythologie de la scène ?

J’en pense que ce n’est pas une mythologie, que c’est très concret, très physique, que c’est effectivement l’épicentre du rock. Du reste c’est toujours un peu le cas, beaucoup de gens vont voir les concerts. Le problème c’est juste qu’il n’y règne pas assez de bordel. Pour tout dire, je n’y vais plus, je m’emmerde (sauf pour Green Day, parce que regarder Billy Joe Amstrong me fait pleurer de joie). Par contre je suis toujours preneur d’aller voir des jeunes inconnus dans un café-concert. Là, on ressent quelque chose comme un frisson rock.

Même les White Stripes qui enregistrent vite, privilégiant la spontanéité, peaufinent ensuite leur son en studio, passent du temps à mixer leurs disques et créent de toute pièce ce côté live qui les caractérise. Est-ce qu’on ne peut pas dire que le rock est aussi (surtout) une affaire de son ?

Je n’essaierai pas de dire le contraire ! C’est vrai que j’aime de plus en plus les sons crus, les productions approximatives (le premier Libertines était bien pour ça). La tendance est plutôt inverse, mais assez de groupes à son brut sévissent pour m’occuper les oreilles.

J’ai lu encore récemment une enquête sur les ventes de CDs observées depuis le début de l’année. Elles sont catastrophiques, et les sites de téléchargement payants ne donnent pas les résultats escomptés. La mort annoncée du support CD peut-elle changer la donne selon vous, en remettant notamment la scène au coeur du débat ?

Cela se dit. Je n’en sais rien et de toute façon cela ne changera rien à ma vie. Vous savez, ma vie rock est extrêmement simple. J’achète un ou deux albums par mois, j’en prends trois ou quatre à la médiathèque, et je passe le mois avec eux, en élisant souvent une ou deux chansons que je me passe dès que j’ai à me brosser les dents ou me couler un café. Le rock dure depuis cinquante ans. S’il s’arrêtait maintenant, j’aurais largement de quoi finir ma vie avec ce qu’il me reste à découvrir, réécouter, repasser, repenser. Tout va bien.

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Chaleureux remerciements au photographe Mathieu Bourgois, qui nous a gracieusement permis d’utiliser ses photos pour illustrer cette conversation.