Troisième album de l’inaltérable Spencer Krug sous l’entité Sunset Rubdown. Lyrique, insaisissable, spectaculaire, on n’a pas terminé d’en faire le tour.


Spencer Krug est à l’heure actuelle le plus grand squatteur de studios d’enregistrement sur Montréal. En cumulant sans temps mort les disques de Wolf Parade, Swan Lake, Frog Eyes et Sunset Rubdown, tout porte à croire que l’hyperactif canadien a souscrit un abonnement illimité aux studios Breakglass de son ami Jace Lacek (The Besnard Lakes).

Si les projets et les disques de cet esprit ultra-prolifique se succèdent à la vitesse de la lumière, encore une fois, nous serions bien incapables de décrire ses excroissances mélodiques hallucinées. Au mieux, nous pouvons lui trouver quelques accointances musicales avec d’autres espèces de songwriters dont le code génétique n’a pas encore été identifié : Carey Mercer (Frog Eyes), Danielson et Destroyer. Spencer Krug appartient à cette famille de pyromanes de la pop, qui ne peuvent s’empêcher de rendre fauves leurs progressions mélodiques. Peu osent se perdre de la sorte jusqu’aux portes du délire et de la fantaisie. Pour ceux qui doutent d’un tel acte d’épanchement émotionnel, on ne saurait que trop leur conseiller sur cette nouvelle démonstration de force l’écoute de “Colt Stands Up Grows Horns”, puisé dans un état de paranoïa noire à faire pâlir d’effroi une BO maléfique des Goblins.

Si Wolf parade est le groupe par où la reconnaissance est arrivée, Sunset Rubdown restait dans les mémoires comme le baptême du feu du songwriter. Et il faudra dorénavant reconsidérer son échelle de priorité dans la constellation de Spencer Krug tant Random Spirit Love offre mille merveilles. Le premier essai fauché de Sunset Rubdown s’apparentait à un album solo où le stakhanoviste canadien contrôlait la moindre note. Depuis le second album, le projet a mué en effort de groupe, de nouvelles têtes ont apporté leur contribution à l’édifice : Jordan Robson Cramer, Michael Doerksen et Camilla Wynne Ingr. Sur son troisième maelström sonique – signé chez Jagjaguwar (Besnard Lakes, Okkervil River) – , Random Spirit Love s’inscrit comme le versant pop onirique de la Parade du Loup. Moins rock, plus labyrinthique, mais tout aussi explosif.

Pourquoi avoir donné le nom de « rock progressif » à un genre qui n’a cessé de faire du surplace, voire carrément s’embourber dès 1972 via les dinosaures – pour ne citer que les plus fameux – Yes, Genesis et Emerson Lake & Palmer ? Avec Sunset Rubdown, c’est tout autre, Random Spirit Love redonne toute sa valeur au sens du mot « progressif ». Même gravées sur CD, les compositions apparaissent en perpétuelle mutation. Enregistré en début d’année dans les studios Breakglass, le disque montre bien l’influence seventies de Jace Lacek derrière la console, fin stratège lorsqu’il s’agit de mettre en valeur puissance et psychédélisme. Dans le même ordre d’idée temporelle, on parlera volontiers ici de pop « progressive », surtout le Yes psychédélique des débuts, avant que cela ne se gâte avec les concepts marathons interminables. Dès “Mending Of The Gown”, on assiste médusés à la réincarnation du guitariste Steve Howe se fendant d’un solo sinueux des plus tarabiscotés. Suivent un feu d’artifices d’envolées destructurées, fracturées, complexes et à la fois tellement instinctives et lumineuses.

Le chant hystérique de Krug, avec son accent aigu façon Thin White Duke, est tellement emporté qu’on ne comprend pas toujours tout ce qu’il dit. Ou bien si, on comprend bien que la ferveur du chanteur est totale. Sa pop compulsive garde une certaine grâce et une éloquence dans sa manière d’arpenter les gammes, dans son art d’imbriquer à coups de marteau différentes pièces mélodiques. Que ce soit les choeurs enfantins sur l’étrange épopée péruvienne “Taming Of The Hands That Came Back To Life” ou l’avalanche d’harmonies vocales sur “Courtesan Has Sung”, qui, lorsqu’elle tombe à point nommé, nous fait l’effet d’un éveil blanc, divin. Random Spirit Love est un prodigieux melting-pot émotionnel. Si le combo était né en 1976, nul doute qu’il aurait signé l’armistice entre le glam, le punk et le progressif.

Finalement, on a peut-être trouvé une description à cette musique : écouter Sunset Rubdown équivaut à contempler une licorne majestueuse, indomptable. Une créature légendaire dont on n’oserait s’approcher de peur que l’instant unique ne s’enfuie brusquement. Fantasmagorique.

* Le fascinant deuxième album Shut Up I Am Dreaming (2006) fait d’ailleurs, enfin, l’objet d’une distribution hexagonale par l’entremise du label Beggars.

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