Pour son cinquième album, le super électronicien de Tijuana lance une sonde à travers l’infinité des megasparsecs et autres superamas. Une pierre angulaire en la matière, que disons-nous, une étoile noire.


Récoltant moults éloges auprès de ses pairs et de la presse spécialisée malgré sa discrétion, le mexicain Fernando Corona, alias Murcof, est indéniablement une référence dans le monde du minimalisme electro. Son premier album Martes sorti en 2002, laissait éclater au grand jour une science de l’occupation de l’espace peu commune alliée à un traitement sonore novateur. Bien que son audience reste confinée à un public restreint, son univers reste au demeurant accessible car toujours soigné d’harmonies. Peut-être que la singularité de ce perfectionniste âgé de 37 ans réside dans le fait qu’il se considère comme un musicien accompli, composant et interprétant lui-même ses parties de piano et de violoncelle qu’il échantillonne ensuite et déconstruit ad vitam aeternam sur son laptop.

Cinq ans après Martes, quatre albums et des collaborations dans différents domaines artistiques (installations d’art contemporain, cinéma…), le chef de file de la scène electro mexicaine et du mouvement appelé « micro sample » repousse toujours plus loin les limites de son art, tant dans la précision que la sophistication. Comme son titre laisse supposer, Cosmos est une ôde à l’immensité de l’espace. C’est son œuvre, la plus dense, d’une épaisseur telle que les traits sombres qui imprégnaient déjà ses précédents travaux se sont mués pour la circonstance en une peur du vide viscérale.

Les disques de Murcof se veulent panoramiques et suggèrent des images précises. On ne s’étonne pas d’apprendre qu’il vient par ailleurs de travailler sur la bande originale du film Enligthened Blood du réalisateur mexicain Iván Ávila Dueñas. Ainsi, les clins d’œil cinématographiques sur Cosmos sont de même souvent appuyés : “Cuerpo Celeste”, l’ouverture grandiose d’obédience néo-classique, renvoie à quelques chefs-d’œuvre de la science-fiction métaphysique, tels 2001 l’odyssée de l’espace (pour sa légendaire symphonie de Strauss, Ainsi Parlait Zarathoustra) et le Solaris de Tarkovsky. Un peu à l’écart de ces œuvres cérébrales, la mise en scène « orchestrale » de Cosmos n’est pas non plus sans évoquer les partitions de Vangelis sur Blade Runner et leur futurisme désenchanté. Certains hurleront peut-être à l’évocation du compositeur de la démesure grec, mais la filiation n’est pas erronée à l’écoute des suites “Cosmos 1” et “Cosmos 2”, qui tiennent un peu du space opera minimaliste.

Tout au long de ces six plages, le mexicain s’ingénie à explorer un cadre sonore vespéral et oppressant, confondant de maîtrise sur “Cielo”, traversé de chœurs fantômatiques et boucles rythmiques sous-marines. L’usage de rythmes microscopiques et autres bleeps se fait plus épars que sur les expériences passées, cette loi du silence conférant à l’œuvre une gravité impressionnante. Il est étonnant de constater que lorsque Murcof s’affranchit de la mélodie pour sculpter le son, sa maîtrise de l’immobilisme implosé le rapproche davantage des guitaristes paysagistes : l’appesantissement saisissant de ses textures synthétiques taquinent les cordes électriques bourdonnantes et pesantes d’un Earth, voire de Stars of The Lid (“Cosmos 2”). Et lorsque cette sophistication frise la stérilité, Murcof sait user du contrepoint, installe de la vie via des instruments acoustiques toujours rigoureusement distillés (orgue, piano).

De l’art de faire figurer un trou noir en une épaisse masse sonore figée, donner l’impression de statisme alors que nous sommes bel et bien en mouvement. Décidément, Murcof a quelques galaxies d’avance sur ses contemporains.

– Le site officiel