Mendelson, le plus grand groupe français du monde, a sorti cette année directement sur Internet son quatrième album, d’ores et déjà « Victoire de la Musique » 2008, dont beaucoup pensent qu’il est à l’origine de la récente émancipation discographique de Radiohead. Avant une grande tournée internationale, près de chez vous, rencontre via le Net avec son leader, l’immense Pascal Bouaziz, afin de discuter de son compte en banque bien rempli, des jeunes filles en fleur qui tombent en pâmoison à ses pieds et de son dernier lifting.


Pinkushion : Quatre années se sont écoulées entre la sortie de Seuls au sommet et ce dernier double album. D’emblée avais-tu pour ambition de délivrer une matière aussi conséquente ou cela s’est-il imposé au fur et à mesure de vos déboires de production/distribution ?

Pascal Bouaziz : Tout a été enregistré en deux fois à un mois d’intervalle, donc pas d’accumulation au fur et à mesure, non. Au contraire, on a plutôt profité de tout ce « temps perdu » pour épurer, couper, affiner ce qui était parti au départ pour être un triple album.

Comment se sont constituées ces deux « faces » de huit morceaux ? Répondent-elles à un simple principe de chronologie ou découlent-elles plutôt d’un sous-texte qui les a ordonnées ?

Il y a eu au départ surement des tentatives de ce genre. Intérieur / Extérieur. Album chaud, album froid. D’un côté l’ouverture, de l’autre l’oeuvre au noir. Mais à force… A force, les idées, les concepts ne tiennent pas et je ne sais pas comment, ni quoi, ni qui décide de l’ordre de l’album. C’est très mystérieux et très long comme processus. Et même si sur le moment il peut m’arriver d’avoir une idée très claire du pourquoi du comment, de telle chanson après telle autre, je serais incapable maintenant de m’en souvenir.

Sur le site dédié au groupe, plein d’une ironie mordante, il est écrit : « Après étude des rares propositions que lui a offert le monde merveilleux du disque en France, Mendelson a préféré finalement faire « sans » ». Quelles ont été les principales raisons du divorce avec « ce monde merveilleux du disque » ?

Je crois tout simplement qu’à force de ne pas parler la même langue, de ne pas avoir la même culture, de n’avoir aucun point commun, ni référence commune, ni intérêt commun, enfin de ne pas vivre la même vie dans le même monde, le « divorce » est fatal. Même avec toute la meilleure volonté du monde… Et Dieu sait qu’on en a eu. Et de la patience aussi.

Lors de sa sortie « officielle », fin août, le disque était seulement accessible à l’achat via votre site, avec envoi postal en sus. Pourquoi, à l’instar des récents Radiohead ou Saul Williams, ne pas l’avoir proposé d’emblée en téléchargement, une solution qui, a priori, semblait économiquement plus viable ? Etait-ce une réticence quant à la qualité du son, souvent compressé sous ce format, et l’intérêt porté à l’objet CD avec ce qu’il peut encore représenter (un livre ouvert, un visuel, une identité, etc.) ?

Je suis vieux, enfin plus vieux que d’autres. Et je n’arrive pas à écouter sinon en mode purement informatif un mp3 ou ce genre. J’ai beaucoup de mal à écouter même un CD gravé. Comme j’essaye toujours de me mettre à la place des autres, j’ai préféré continué à offrir aux gens la possibilité d’acheter un vrai disque. A défaut d’un vinyle, un beau CD, bel objet, quelque chose à garder. Ceci dit le disque est aussi disponible maintenant en téléchargement sur iTunes et consorts.

Que t’inspire la récente émancipation de Radiohead avec la sortie de leur In Rainbows ?

Très peu au courant de cette histoire…

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Dans une interview accordée récemment au Monde en ligne, Jean-Louis Murat fustigeait, suite au rachat de V2 par Universal, l’attitude de certains internautes qui se goinfrent gratuitement en musiques, crient au scandale lorsqu’on veut leur enlever cette liberté et sont incapables au final de la moindre reconnaissance. Penses-tu également que le Net est un miroir aux alouettes qui dessert les musiciens plus qu’il ne démocratise leur art ?

Je ne sais pas. Pas d’idées. Je sais ce qu’Internet nous a permis à nous. C’est-à-dire une indépendance totale et un contact direct entre l’auditeur et le producteur-musicien. Le reste…
« Si c’est bien, si c’est mal »… J’en sais rien. C’est « comme ça » en ce moment… De toute façon, Mendelson n’a jamais fait d’argent avec la vente de disques. En tant que groupe, on n’a jamais vécu que grâce aux concerts.

Jean-Louis Murat dit aussi dans cet entretien que « la culture est le fait d’une minorité, d’une élite qui fait des efforts », qu’être artiste, « c’est un engagement total, où tous les risques sont pris. C’est une décision à laquelle on se tient. Quitte à dormir dehors, à vivre autrement ». Partages-tu ce sentiment ?

Il y a des artistes qui vivent plus dehors que d’autres je suppose. Je suis très peu inquiet pour Murat à ce sujet, mais peut-être que je me trompe. Personnellement, je préfère dormir dedans. Il y a aussi des artistes dont l’engagement est total, la sincérité éblouissante, qui prennent tous les risques et qui font de la merde avec enthousiasme. Ceux là t’as plutôt envie qu’ils s’investissent moins dans ce qu’ils font. Bien sûr, je ne parle plus là de Jean-Louis Murat.

Considères-tu que tu fais de la musique populaire, comme peut l’être celle de Bruce Springsteen ou Bob Dylan, deux références majeures évoquées sur votre site ?

J’ai toujours cru que je faisais de la musique populaire de mon côté. De son côté le populaire a rarement été d’accord.

Sur Personne Ne Le Fera Pour Nous, on trouve justement un des titres les plus pop de Mendelson, “Personne ne le fera pour nous # 2”, qui s’inscrit même dans la tendance bien en vogue d’une certaine chanson française de qualité, pourtant plus ou moins décriée sur le saignant “J’aime pas les gens”. Voulais-tu montrer avec cette chanson que Mendelson pouvait aussi s’adapter à ce format-là, sans perdre pour autant de sa singularité ?

La chanson n’a pas été écrite pour s’inscrire dans une tendance. Elle est venue comme ça. Elle a grandi et pris cette forme-là. Ceci dit je suis très heureux d’avoir réussi à faire une chanson aussi pop avec un texte aussi noir. Comme les Smiths, ou comme les Kinks, par exemple, toutes proportions gardées, bien sûr…

Je pensais aussi à la pop parce que sur ce titre tu chantes, vraiment, ce qui n’est pas si fréquent. D’ailleurs, je trouve que ton chanter-parler bien caractéristique a gagné en présence, voire en assurance. Est-ce une volonté de ta part de moduler davantage ta voix sur cet album et de la mettre plus en avant ?

Tout est fait de manière naturelle, enfin, le plus possible. Il n’y a pas un effort conscient de plus chanter ou de plus ne pas chanter. Les choses se font comme ça sans volonté préexistante. Chaque chanson appelle une manière de chanter qui lui est propre et une présence de la voix qui lui est propre aussi. Tout ça bien sûr dans l’idéal. Parce qu’il nous est déjà arrivé que la voix soit moins présente ou trop présente, d’ailleurs pour des mauvaises raisons. Comme ce coup-ci on était seul maître à bord, on a limité les mauvaises raisons de faire des mauvais choix. Enfin et surtout, on fait ce qu’on peut, avec ce qu’on a, au moment où on le fait. Surtout, surtout ça…

En écoutant “J’aime pas les gens”, je n’ai pu m’empêcher de penser à la fameuse intervention orale de Maurice Pialat, poing levé vers le parterre du gratin cinématographique, lors de sa remise de Palme d’Or à Cannes en 1987 pour Sous le soleil de Satan, et prononçant un désormais culte « si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus ».

Je n’arrive toujours pas à comprendre qu’il ait pu être sifflé ce soir-là. C’est toujours un mystère pour moi, comment ces gens-là, ceux qui sifflent, font pour vivre avec eux-mêmes.

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L’album alterne des titres très rentre-dedans qui remuent (“Crétin”, “Le Sens commun”, “J’aime pas les gens”, “Dans tes rêves”) et des plages plus apaisées (“Sans moi”, “Le Monde disparaît”, “La Honte”). Aussi, es-tu d’accord pour dire que c’est l’album le plus varié du groupe, ou le moins obsessionnel quant à la diversité de sons entendus, si tu préfères ?

Le plus varié, oui, ça me semble évident. Le moins obsessionnel, je ne sais pas. On m’a dit que c’était l' »album de la maladie mentale », et je suppose que l’obsession en est une.

J’ai l’impression que l’album autorise un parcours morceau après morceau, du début à la fin, qu’il raconte en filigrane quelque chose. Au départ, il y a une volonté d’ausculter le réel, de rentrer à l’intérieur des choses (“Scanner”), de se frotter au concret, puis progressivement tu sembles prendre tes distances, favoriser une perception presque onirique de la réalité, pour arriver à la fin à “Le Monde disparaît”, titre qui parle de lui-même. Quelle a été en fait la première chanson finalisée de l’album ?

Toutes à peu près ont été écrites en même temps, dans un seul mouvement. Mais c’est vrai que l’ordre a été conçu en partie comme ça. « J’aimerais voir dans ta tête », comme il est chanté dans “Scanner” et puis petit à petit y rentrer, dans la tête. Et décrire ce qu’on y voit. Mais tout ça a posteriori et certainement pas comme moteur pour écrire.

C’est très lynchien cette idée d’un disque-cerveau, avec deux hémisphères/faces, ses chansons aux structures pleines de méandres, sa violence prête à éclater à tout moment, son côté parfois halluciné…

J’aurais jamais pensé à Lynch, mais je prends le compliment, merci… Un disque cerveau oui. Comme le titre « Mon cerveau dans ma bouche » de Programme. Après…Est-ce que ça ne devrait pas toujours être ça un album : un disque cerveau. Un disque où l’on regarde un être humain. Astral Weeks de Van Morrisson, Plastic Ono Band de John Lennon… Comme les livres d’ailleurs ou les films. Si ce n’est pas ça, je ne vois pas bien l’intérêt. Je précise que ça n’a rien à voir avec une quelconque prétention intellectuelle ou autre. Un des plus grands disques cerveaux pour reprendre ton expression, pour moi, c’est Fun House des Stooges. On pourrait difficilement leur faire ce procès.

Au moment de l’écriture, penses-tu chaque chanson de façon isolée ou, au contraire, comme une suite potentielle de la précédente, à la manière d’un récit, d’une histoire à raconter avec le « Je » qui parle ici et là et des personnages secondaires issus de différents milieux sociaux ?

Chaque chanson est son propre monde. Et chaque chanson est écrite indépendamment des autres. D’ailleurs quand j’écris, je passe souvent de l’une à l’autre comme pour me changer de monde et me changer les idées. Comme avec les livres, je lis souvent plusieurs livres en même temps et je passe de l’un à l’autre de la même manière. J’aime bien vivre plusieurs autres vies comme ça très facilement, pour pas cher.

Te rappelles-tu justement des livres que tu lisais au moment de l’écriture de Personne Ne Le Fera Pour Nous ?

C’est un peu me demander qu’est-ce que tu as mangé il y a quatre ans. Très difficile de m’en souvenir. Si j’essayais, je dirais qu’il y avait à cette époque beaucoup de romans japonais : Kenzaburo Oe, Yasushi Inoué, Abé Kobo… Mais aussi Henri Michaux. Imre Kertesz. Je crois. Un peu flou, tout ça. Est-ce que les livres sont une source d’inspiration ? Oui, mais pas plus que les films, les bandes dessinées, la vie de tous les jours, les émissions de radio, et les disques bien sûr…

Est-ce que tu élabores tes chansons avec une idée précise de la scène, de son ambiance, de sa lumière ?

Oui, pour certaines chansons, je vois la scène comme tu dis, le décor, l’ambiance et je vois le personnage dedans. L’ensemble de ce qu’il voit, de ce que je vois à travers ses yeux m’aide à deviner un peu de ce qu’il pense.

Pour filer encore le rapport au cinéma, la musique de Mendelson évoque bien sûr celui de Pialat, mais aussi les films de Nicolas Klotz ou Bruno Dumont. Ce dernier notamment pour ses choix formels radicaux et sa farouche volonté de filmer une France d’en bas qui a les pieds dans le bitume ou la boue. Ce qui intéresse Dumont, c’est de partir de choses très concrètes (la terre, le ciel, le sexe), presque documentaires, et de les transcender par le biais de récits qui tiennent de la métaphysique ou de la tragédie. N’est-ce pas une approche de cet ordre qui se joue par exemple à travers le fait-divers du “Sens commun” ?

“Le sens commun” est pour moi une chanson type. Je ne sais absolument pas d’où elle m’est venue. Mais elle m’est venue un matin. Le temps de trouver un papier et de l’écrire d’un seul jet. Au studio, avec Charlie O., on s’est trouvé un moment à part pour trouver la ligne d’accord du piano. On a coupé un couplet qui semblait de trop. Et on la enregistrée live avec tout le groupe dans la foulée. La prise finale doit être la deuxième qu’on ait tentée. Donc vraiment, pour le coup, aucune intention précise, ni concept directeur au départ… Ceci dit, j’aime beaucoup les deux films de Bruno Dumont que j’ai pu voir.

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Quelles sont tes sources d’inspiration dans le domaine de l’oralité, écoutes-tu du slam ou du rap par exemple ?

Je n’écoute pas de slam tous les jours. Pour les français, j’ai vu et entendu le Spoke Orchestra et ils peuvent être très forts. J’ai beaucoup écouté Gil Scott Heron, surtout son 1er véritable album avec La révolution ne sera pas télévisée qu’a repris Experience dernièrement. Les Last Poets… J’ai beaucoup plus écouté du rap. Encore que je ne sois pas un grand spécialiste. Mais oui, IAM, Demain c’est loin, « Tout n’est pas si facile », NTM, c’est très impressionnant. Kool Keith me fait rire et voilà peut-être une influence directe sur Personne… Avec son texte « Fuck You » ou bien « I Don’t Believe You. » Je connais moins la nouvelle génération, maintenant, mais j’ai beaucoup aimé cLOUDDEAD, et certaines chansons de Buck 65, que j’aurais aimé écrire. J’ai beaucoup d’admiration pour La Caution et ce qu’ils ont réussi à faire avec leur dernier album. Voilà, voilà…

Une fois une chanson écrite, est-ce que tu la retravailles par rapport à la diction, la peaufines en fonction de la musique des mots, rajoutes des éléments ? A l’écoute, elles tiennent toutes de l’évidence, mais je suppose qu’il y a un gros boulot de coupe et de remaniements pour arriver à ce résultat…

Des fois oui, beaucoup de travail, des fois, non, comme je disais pour “Le Sens Commun”. J’ai eu beaucoup travaillé comme disait Fernand Raynaud avec son « ça eut payé ». Et donc peut-être comme j’ai beaucoup travaillé à une époque, j’en ai moins besoin maintenant. Mais j’ai l’impression que plus ça va, plus ça va vite. C’est le temps entre les textes maintenant qui augmente.

Comment en es-tu venu à rompre avec le schéma classique couplet/refrain et à étirer la longueur des chansons ?

La longueur n’est pas un enjeu. Ce n’est jamais quelque chose de recherché. La chanson elle-même dicte sa durée. J’ai beaucoup écouté de musique et notamment de rock anglais ou américain, où le songwriting est une tradition très vaste et d’une très grande diversité. Peut-être… Mais encore une fois, même si je sentais qu’en France le niveau était très pauvre et qu’il y avait beaucoup à faire, ce n’était pas une volonté de rompre, j’ai écrit comme ça venait. Ceci dit, malgré tout, il y a beaucoup de chansons de Mendelson avec des refrains, des couplets et des ponts aussi, même si ça ne nous a jamais paru obligatoire qu’il y en ait. Après, la longueur des chansons… Rien qu’en France quand même, Brigitte Fontaine a déjà fait ça, Léo Ferré, et son « Il n’y a plus rien », 18 minutes de déclamation ininterrompue… Cela s’est déjà vu.

Personne Ne Le Fera Pour Nous se termine par ces mots « je veux juste être aimé ». Est-ce ici un souhait dérisoire ou plutôt une façon de pointer quelque chose d’essentiel ?

Je laisse chacun décider de ce qu’il en pense en écoutant la chanson.

Les années passent et Mendelson est toujours aussi pessimiste, sinon plus. Cette noirceur absolue, que certains pourront juger complaisante, est-elle une forme d’exutoire ?

Je réponds toujours à cette question en citant les Violent Femmes : « Have you seen the world we’re living in ? » Alors voilà, avez-vous vu le monde dans lequel on vit ? Je suis toujours surpris quand on me dit ça. Les histoires que vivent les gens, en vrai, c’est pas Casimir, c’est pas Pollux. La chanson faudrait toujours que ce soit festif. Avec un petit rythme à la con. Et d’ailleurs pourquoi pas. Mais pourquoi que ça ?

En même temps, il y a quand même un monde, et des nuances, entre celui qui transpire des disques de Mendelson et celui de Casimir. On ne peut pas simplement opposer la noirceur au festif, et choisir la première sous le seul prétexte que le second à « un petit rythme à la con ». Voir le monde dans lequel on vit participe d’une certaine subjectivité, et il est évident qu’on ne le voit pas tous de manière identique. C’est toi-même qui l’écrit : « Nous sommes ce que nous voyons nous voyons ce que nous voulons voir ». Pialat disait vouloir « filmer quelque chose qui met une certaine France en doute ». Est-ce que chez toi il y a aussi ce désir d’être le témoin d’une France en doute ou ton rapport récurrent à la noirceur est-il plus indéterminé, de sorte que tu t’y enferres sans vraiment savoir pourquoi, « comme un poisson harponné » (dixit encore Pialat) ?

La manière que chacun a de voir le monde est en effet très subjective. Il pourrait y avoir des milliards de raisons toutes personnelles à ce que je sois enclin à le voir aussi noir. Sauf, sauf… Que je suis persuadé d’avoir raison. Le monde tel que je le vois, tous les jours, mais aussi tel que je lis qu’il a été, est un monde de grande violence. Qu’elle soit très individuelle, humaine, quotidienne, au bureau, dans le train, à l’ANPE, ou à la « caisse familiale », qu’elle soit plus globale, étatique, voire internationale. C’est le monde dans lequel je vis, moi. Dans lequel je ressens les choses. Dans lequel aussi, « fatalement », j’écris. Encore une fois, il n’y a, je crois, aucune volonté pour autant de prouver quoi que ce soit, de « montrer » quoi que ce soit, convaincre qui que ce soit. Je ne force personne à adhérer. Même si je suis très content que des gens adhèrent et qu’ils me disent que nos disques leur font du bien. Mendelson n’a que très peu de prétentions « expansionnistes » ou prosélytes. Si j’avais une ambition, ce serait un peu plus : Proposer à des « frères » supposés, ceux qui voient et ressentent le monde comme ça, « des semblables », une musique, des textes, des chansons qui éventuellement puissent les réconforter, les consoler – comme ça console d’apprendre qu’on n’est pas seul à ressentir ce qu’on ressent -, les enchanter, même et ce n’est jamais absent des textes, pourquoi pas même, les faire rire. Bref, essayer de proposer ce que moi-même je vais chercher ailleurs, dans les disques ou dans les livres. Le bien que peut me faire une seule phrase de Ween, par exemple : « Yesterday we lost our lives, tomorrow we were born« , ou la joie pure et simple d’écouter le « I don’t believe You » de Kool Keith, qui est une joie très mélangée, plaisir de la vengeance, du bon mot bien placé qui « tabasse », au bon moment sur le bon rythme, plaisir d’entendre exprimer par quelqu’un d’autre ce qu’on aurait soi même voulu dire, le plaisir, tout bêtement de se sentir moins seul, voilà ce que j’espère que certains peuvent trouver dans les chansons de Mendelson. Certains, et certains uniquement… Les autres, qui trouvent ça suspect ou complaisant ou chiant, ou rajoute toi-même ici ton adjectif préféré… Les autres : grand bien leur fasse. Je n’écris pas pour eux.

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Cela pourra paraître incongru, mais j’aurais tendance à rapprocher cet album du dernier opus de Philippe Katerine, Robots Après Tout. Les deux approches sont aux antipodes, du moins en apparence, mais visent toutes deux à décrire un monde déshumanisé, où l’homme n’est plus que l’ombre de lui-même. Katerine a choisi d’en rire et de jouer à fond le jeu de cette déshumanisation, alors que toi, tu es plus dans le rejet radical, sans concession, quoique non dénué d’ironie. Mais c’est bien le même quotidien aliénant qui au final est pointé du doigt, non ?

J’aimerais bien ne rien pointer du doigt. Et si je l’ai fait aussi crûment que ça, pour moi, c’est raté. Mais, pour Katerine, j’ai beaucoup aimé et beaucoup écouté son dernier album. Qui m’a fait beaucoup rire, et qui m’a bouleversé, et qui m’a touché, et refait rire et épaté et… Et…C’est bien, quoi. Voilà, un album cerveau comme on disait tout à l’heure et aussi réaliste et complet avec tout ce que la vie a de riche et de compliqué. Et très noir aussi. Et d’autant plus noir que ça se voit pas. Comme le tube “Louxor” et le personnage principal qui attend de se refaire lyncher. Et tout le monde chante ça. Dans la rue, à l’école, à la télé…Non seulement l’album est impressionnant mais en plus il a eu un succès phénoménal. Ce qui est encore plus hallucinant. Il a quand même vendu des centaines de milliers d’albums avec une phrase dessus qui dit : « Je pense à la mort tous les jours ». Un des meilleurs albums rock qu’il y ait eu en France. Top 10. Comme les gens aiment bien les classements. « La chaise », « Numéros », « 11 septembre »… Grandes chansons, grand chanteur.

A quel moment décides-tu de mettre en son les morceaux et de les proposer à l’ensemble du groupe ?

Tout a été fait et dans tous les sens depuis que Mendelson existe. Pas de méthode préétablie. Pour « Personne » la plupart des textes ont été écrits après que la musique telle qu’on l’entend sur le disque ait été enregistrée. Donc ce serait l’inverse de ce que tu as l’air de penser. Mais d’autres fois, effectivement je présente un texte complet sans musique, ou un texte incomplet avec la musique. Et on part de là. Ou alors Pierre-Yves joue une ligne de guitare. Qui me fait tilt par rapport à un de mes textes. Ou encore on improvise pendant une journée en enregistrant tout et en réécoutant, recoupant, le soir, je vais me mettre à penser à quelque chose sur cette base qui deviendra un texte.

Si je comprends bien l’improvisation a joué un rôle déterminant dans l’enregistrement de ce quatrième album.

Oui et non. Le groupe dans toutes ces formes a toujours improvisé. Sans, d’ailleurs, qu’il faille se faire une montagne de ces choses-là. C’est quelque chose de très naturel pour la plupart des groupes qui jouent souvent et longtemps ensemble. Là, l’idée, c’était, au départ, de ne partir que d’improvisations pour écrire les morceaux. On a donc commencé les enregistrements sans rien dans les mains. A peine de textes, deux trois pas finis, quelques bouts de guitare, que j’avais de côté ou que Pierre-Yves a ramené…On voulait vraiment enregistrer la musique de ce groupe. La musique que faisaient tous ensemble ces gens-là. « La honte » est un exemple type. Je n’avais jamais chanté cette chanson et personne n’avait jamais joué cette musique (et pour cause puisqu’elle est « improvisée ») avant d’enregistrer la seule et unique version, qu’on ait enregistré de cette chanson-là, qu’on a finalement gardée pour l’album. C’est peut-être pas très clair, pour les gens mais pour moi c’était un grand choc de sentir le truc se produire comme par miracle au moment où il se faisait.

Depuis Quelque Part (2000) figurent dans le groupe des jazzmen. Quentin Rollet et Charlie O., affiliés notamment au label Rectangle de Noël Akchoté, sont par exemple de nouveau présents sur le dernier album. Est-ce que cet apport de musiciens orientés vers le free jazz a changé sur la durée ta manière d’écrire et de concevoir un morceau ?

Noël Akchoté est aussi fan de Kylie Minogue. Charlie O. de Daft Punk et Quentin Rollet de Bonnie Prince Billy. Méfions nous, méfions nous… Alors non, en tant que musicien de Free Jazz, ils n’ont rien changé sur la manière de concevoir ou d’écrire un morceau… Mais en tant qu’êtres humains ils ont certainement eu une grande influence sur le groupe. Ils ont rendu les choses possibles parce qu’ils étaient là, et que c’était eux et pas n’importe qui d’autre. Au même titre d’ailleurs que tous les musiciens qui ont été Mendelson. Sans même parler d’Olivier Féjoz, avec qui on a commencé Mendelson, il y 13 ans, chacun y a laissé sa trace et a fait que « notre histoire » n’aurait pas été la même sans lui.

Personnellement, je trouve que cet album est celui où l’adéquation textes/musiques est la plus évidente et aboutie. Il y a un travail sur la matière sonore et les ambiances qui va bien plus loin que sur Seuls au sommet. Donnes-tu des indications aux autres musiciens quant à l’atmosphère que tu souhaites obtenir ?

C’est ce que je me suis toujours acharné à rechercher : cette adéquation. Pour ce qui est des « ambiances et de la matière sonore qui va plus loin », je crois que ce qui fait la différence vient vraiment que ce coup-ci la musique a longtemps été seule sans le texte, et donc sans le texte pour la limiter ou tout simplement trop guider l' »imaginaire ». Sinon, pour finir… Seuls au sommet est un album incompris. Un jour, il aura sa revanche.

Quels ont été le temps et la place accordés au mixage de l’album ?

Je crois beaucoup de temps…D’abord parce qu’on en a eu beaucoup. Et puis c’était nécessaire…Un double album c’est long, et puis comme je le disais on avait beaucoup plus de chansons que l’on en a gardé au final et celles-là on les a mixées elles aussi au moins aussi loin qu’on a pu. Et puis la vie prend du temps, parfois, qui fait qu’on y arrive plus… Qu’il faut tout laisser tomber et recommencer quand ça va mieux.

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Mise à part quelques groupes issus du label T-Rec ou des électrons libres comme Dominique A et Michel Cloup (ex-Diabologum), le rock français, sans être mauvais, peine tout de même à se distinguer de ses modèles anglophones. C’est toute la grandeur de Mendelson que de parvenir à faire un grand écart entre Ferré et Dylan, ou entre Bashung et les Kinks, tout en restant très singulier, à la fois très français et très américain, et en même temps beaucoup plus que ça. De tels grands écarts sont-ils économiquement trop dangereux aujourd’hui pour qu’ils soient si rares ? Ou sont-ils rendus difficiles à cause d’une sorte de complexe d’infériorité ?

Alors là, je n’en sais rien. Peut-être tout simplement, et en toute modestie, en musique comme en toutes choses, la qualité est plus rare que la médiocrité. Par ailleurs, les Américains et les Anglais aussi savent être médiocres. Et nous aussi, on est bien médiocre, et mous, parfois à écouter leurs disques… On se pose beaucoup moins de questions quand il y a marqué New-York sur la pochette.

Quels sont les groupes de rock dont tu te sens actuellement proche en France ?

Katerine, j’ai déjà expliqué pourquoi. Michel Cloup (Experience), parce que certains de ces textes me touchent comme aucun autre texte français ne me touche. Comme s’il parlait du même pays intérieur que moi. Les frères Nubuck, parce qu’ils me font rire tout seul à la maison. Le Manque, parce que « Mourir à Chartres » est un très beau titre. Les Married Monk, parce qu’ils sont doués comme personne et que ça ne se voit pas. NLF3, parce que les deux frères Laureau, je les ai vus en concert en 1990, à Pigalle et que je me suis dit, à l’époque : «Tiens, c’est donc possible…»

Dans “1983 (Barbara)”, tu écris « J’ai commencé tôt la nostalgie j’étais déjà tellement doué pour ça tout petit». Cette nostalgie, depuis le début, est en filigrane dans la plupart des textes de Mendelson. On la retrouve souvent dans le rock ou la chanson française, je pense notamment à Vincent Delerm qui en a fait son fond de commerce avec ses chansons-bibelots. Qu’est-ce qu’elle signifie exactement sous ta plume, est-ce vraiment ta nature ou une façon de saisir l’air du temps ?

Je ne sais pas répondre à cette question. Je sens bien que la mode est aux soirées DVD Goldorak et Albator. Mais ce serait quand même dommage, uniquement parce que beaucoup de gens semblent grotesques quand ils font quelque chose, de s’empêcher de le faire. Si c’est pas clair, que c’est différent ce que j’essaye de faire, je m’en excuse et c’est raté…

Quel est, d’un point de vue strictement musical, ton rapport au passé ?

Si l’on joue aux petits soldats Actualité contre Passé en musique il est évident pour moi que l’actualité n’a strictement aucune chance. De l’avantage de fréquenter les bibliothèques municipales, j’ai tout le temps 1 ou 2 ans de retard sur l’actualité. Qui d’un coup n’en est plus de l’actualité. Mais je m’aperçois que je n’ai pas répondu à la question.

Sur Seuls au sommet, tu as repris de manière très personnelle le “Lonely At The Top” de Randy Newman.

Au départ, pour un projet avec Red et Noël Akchoté, on cherchait une chanson. J’ai traduit très vite et proposé celle-là. On l’a faite. Une très bonne version d’ailleurs. Mais pour l’album, avec ce titre, et ces paroles, je sentais plus une version vraiment solo de la chanson.

Ecoutes-tu beaucoup de disques anciens pour t’en inspirer ou cherches-tu plutôt à faire table rase au moment de composer ?

Au moment de « composer » ou d’écrire, je n’arrive pas à écouter quoi que ce soit. J’écoute surtout des disques pour mon plaisir et il se trouve parfois que je m’en suis inspiré. Et il se trouve (encore) que c’est plutôt des « vieux » disques, oui. J’ai mis « composer » entre guillemets parce que ça m’a toujours paru un peu gigantesque le mot « compositeur » pour le genre de musique qu’on fait. C’est quand même jamais que du rock avec trois accords. (Et encore, trois ça fait beaucoup.)

Ta modestie t’honore, mais il y a tout de même un souci d’épaisseur sonore, de détails harmoniques, pour tout dire d’ambition formelle chez Mendelson qui bousculent le rock plan-plan avec trois accords, souvent ici méconnaissable. Pourquoi ne pas davantage revendiquer cette ambition-là, pourtant manifeste ?

Mais aussi pourquoi revendiquer quelque chose qui semble si « manifeste »? Ceci dit, je me répète mais ce n’est pas grave, ce n’est pas d’une très grande ambition au sens stricto sensu du terme, que de faire ce qui nous plaît, ce qu’on aime, « naturellement, automatiquement, sans pensées », comme disent les maîtres Zen. Ce qui est plus surprenant, peut-être, et plus rare, c’est plutôt d’y arriver. On a eu de la chance, jusque là, même si, et ça me fait plaisir que tu le soulignes, ce n’est pas aussi facile que j’ai l’air de le présenter. Et si ce n’est de l’ambition, ça demande au moins beaucoup de constance et d’entêtement et beaucoup de la « foi du charbonnier » pour, contre vents et marées, essayer de continuer à tout prix de faire et proposer cette musique.

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Dans L’Odyssée du rock de Florent Mazzoleni, remise à jour récemment, il n’y a pas une ligne sur Mendelson, qui existe pourtant depuis plus de 10 ans. Comment expliques-tu un tel oubli ?

Peut-être que c’est à lui qu’il faudrait poser la question. Mais la réponse est peut-être très simple : Mendelson n’a jamais vraiment vendu de disques. Et puis on ne laisse pas une trace indélébile, ni même une trace, tout court, chez les gens « en place ». On en a fait le constat en cherchant une maison de disques la dernière fois. Tu verras rarement Mendelson cité dans les albums du mois des journaux, les albums de l’année, alors les dictionnaires… Pas assez de drogue, de seins nus, de featuring coquets peut-être ? M’enfin…On s’en fout un peu. On n’est pas là pour ça. Des fois, des gens nous disent que pour eux, tel ou tel album a été important. Cela me suffit.

Personne Ne Le Fera Pour Nous a reçu une critique dithyrambique, il y a même eu un côté « il faut sauver le soldat Mendelson ». Un tel accueil doit être particulièrement encourageant ?

Oui monsieur, que ça fait du bien. Sauvez Mendelson ! Envoyez des sous !

Est-ce que ces excellents papiers ont eu une répercussion concrète au niveau des ventes de l’album ?

Bah, il aurait fallu qu’on vive deux vies et qu’on puisse mesurer sans. Mais je crois pouvoir m’avancer et t’affirmer que oui. Quand les gens disent du bien, ça fait du bien, concrètement, au niveau des ventes de disques, aussi. Rien de mirobolant, ne nous affolons pas. Il faut continuer à nous sauver !

Passons à l’avenir et aux concerts : pour quelle formule as-tu opté sur scène ?

Pas adopté de formule. Des fois je serai seul avec un film pour m’accompagner.. Des fois on sera plus. Deux, trois, quatre…Toujours avec le film. On verra.

Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce concept visuel qui va accompagner ta prestation ?

Je précise que c’est bien, comme tu dis, le film qui m’accompagne, les images qui illustrent la musique et pas l’inverse. L’idée, c’était de trouver des images qui seraient comme le reflet de l’état d’esprit du personnage au moment même où il nous raconte quelque chose. Tout sauf un clip donc, plutôt, une deuxième lecture, plus métaphorique, de l’univers mental, dans lequel évoluent ces personnages.

Chanter sur scène une chanson comme “1983 (Barbara)” tient presque de la performance d’acteur, il faut avoir une mémoire phénoménale.

Quand on a écrit un texte c’est plus facile de s’en souvenir. Mais, c’est vrai que là ça a été un petit coup à prendre quand même.

Question rituelle, pour finir : quels sont tes cinq disques de chevet, là tout de suite maintenant ?

On the corner (Face B) // Miles Davis
Quebec // Ween
Astral Weeks // Van Morrison
Plastic Ono Band // John Lennon
Electric Lady Land // Jimi Hendrix

* La chronique de Personne Ne Le Fera Pour Nous.

* Trois disques sinon rien : Mendelson.

* A lire, notre dossier consacré au rock :

Sylvain Rifflet (Rockingchair) : « Le seul intérêt d’avoir une grande technique c’est de se sentir libre de l’oublier »
T-Rec : « dès lors que tu joues pour le public, t’es perdu… »
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Le documentaire rock ou l’écroulement programmé du mythe.
Les Rolling Stones dans l’oeil de Godard.

* Le site du photographe Emmanuel Bacquet (Crédit photo – sauf celle mentionnée)