L’album de la consécration de Katerine, Robots Après Tout, fait logiquement l’objet d’un live. Mais il aurait été trop demander à l’olibrius de respecter les règles de l’art. Résultat, un DVD jubilatoire et un CD punk. Katerine est définitivement 100% VIP (Very Imprevisible Person).


C’est l’histoire d’un joli champ bordé d’arbres feuillus qui accueille de bien jolis enfants en sous-pull rose et perruque blond platine. Les chérubins chantent comme ils peuvent un étrange morceau, “Etres Humains”. Soudain, quatre gandins mal fagotés reprennent la chanson sur une scène perdue au milieu du champ pour se retrouver assez rapidement propulsés dans une immense salle de concert. Fin de l’escapade bucolique, place au grand n’importe quoi.

Inutile de revenir sur la carrière longue et chaotique de Katerine, ponctuée de disques tantôt délicieux tantôt scabreux, mais toujours intelligents, cultivés et réfléchis. Il a fallu un pétage de plomb en règle, une réaction débile à l’album Human After All de Daft Punk et 14 titres littéralement déjantés pour bouleverser la donne. Et voilà le freluquet au cheveu gras brutalement jeté sur le devant de la scène, porté par un single génial, passant ainsi du statut de beautiful loser made in France à celui de figure médiatique, faisant l’objet d’une hype comme en rêvent bon nombre de candidats à la célébrité de pacotille. Ainsi, de Zéniths en plateaux de télé (même les pires), de radio commerciales en magazines de référence, le père de Boulette et de sa soeur Bruno s’est vu autoriser à chanter ses insanités, ses calembours et ses chiffres devant la France entière en prime time. Ce violent retournement de situation, transformant l’ancienne icône underground en chef de file des bals de campings, aurait fait tourner la tête à n’importe qui. Mais Katerine est bien trop malin et a beaucoup trop trimé pour ne pas saisir la chance d’enfin pouvoir faire tout ce dont il a toujours rêvé, bousculer le mainstream et faire caca devant des milliers de gens. Mais sans jamais perdre de vue que tout ça peut brutalement s’arrêter un jour. Alors autant en faire des tonnes, tout lâcher, et si ça marche tant mieux, il est préférable d’éteindre les regrets.

Ainsi, Border Live est un témoignage halluciné de cette mutation. Puisque l’album à l’origine de ce succès ne ressemble à rien qui n’ait été déjà fait, autant proposer des concerts branques et finir par livrer un DVD inattendu. Et ça commence par un montage hasardeux, puisque chaque chanson est composée d’images de plusieurs captations, sans souci chronologique ou d’homogénéité sonore. Si au début ce procédé peut perturber, on se prend vite au jeu, s’attendant à être surpris à chaque changement de plan. Chaque concert ayant fait l’objet d’une peinture corporelle différente, Katerine à lui seul fournit le meilleur effet scénique. Sans compter que doté d’un humour à toute épreuve, l’homme livre des sketches hilarants entre les chansons, improvisant des monologues débiles, ou alors rendant des hommages inattendus (il faut voir celui réservé à Babet du groupe Dionysos, un grand moment). Certaines chansons font même l’objet de coupes sombres, laissant des photos défiler en lieu et place des images du concert. En fait, le seul homme auquel on pense ici, capable d’autant d’excentricités et d’improvisations jouissives, c’est Andy Kaufman, le triste clown déjanté magnifiquement campé par Jim Carrey dans Man On The Moon de Milos Forman. Oui, Katerine est une véritable bête de scène, sachant mélanger le pire humour graveleux à des blagues d’un raffinement extrême (enfin, presque) sans perdre son auditoire.

Au-delà de la prestation de l’homme, Border Live est avant tout un excellent concert de punk hédoniste. Entouré d’un groupe en titane, La Secte Humaine, à savoir les ex-Little Rabbits Gaëtan Chataigner (basse, et auteur du montage habile du DVD), Eric Pifeteau (batterie), Stéphane Louvain (guitare) (tous trois officiant également chez French Cowboy) et Philippe Eveno (guitare), Katerine livre un set euphorique, rock’n’roll à souhait et parfaitement en désaccord avec l’intégralité de sa discographie antérieure. Autant dire que les anciens fans ont dû être quelque peu pertubés, mais assurément bien moins que les nouvelles recrues qui se mettront à écouter L’Homme A Trois Mains ou Mes Mauvaises Fréquentations après avoir passé leur troisième réveillon au son de “Louxor J’Adore”. Imposant un traitement à haute teneur d’amphétamines à des chansons déjà électriques, Katerine se transforme en rockeur de base prenant un pied phénoménal à maltraiter son oeuvre devant un public conquis. Seule récréation, les quelques vieux titres acoustiques qu’il revisite histoire de calmer le jeu et montrer qu’il y avait une vie avant le plateau de TF1. Et c’est avec une joie non feinte qu’on revoit le petit nantais refaire surface grâce à “Poulet N.728120”, “Le Jardin Botanique” et même “Comme Jannie Longo”.

Le CD Studio Live, formidable idée, propose la relecture de l’album en configuration live, une sorte de white session de luxe. Et de confirmer que Robots Après Tout est résolument barge, génial et tordu, mais aussi que Katerine et son groupe s’entendent à merveille et sont dotés d’une puissance incontestable. Preuve que pour livrer des concerts d’illuminé, il faut avant tout être un grand professionnel. Studio Live est tellement fort qu’il aurait même tendance à jeter un grand froid sur l’ambiance générale.

D’ailleurs, le décalage entre l’oeuvre de Katerine dans son intégralité (Robots Après Tout inclus) et l’explosion commerciale récente de sa carrière n’est pas gommé, on sent bien que le quadra doté d’une peau de cochon est conscient qu’il s’agit probablement d’une parenthèse enchantée. Il faut le voir remettre ponctuellement les pendules à l’heure avec certaines remarques assassines, certains regards étonnamment durs, et même un intermède d’une violence inouië juste avant “Poulet N.728120” ; mises au point que le public ne saisit pas spontanément mais qui font froid dans le dos pendant le visionnage du DVD, loin de la moiteur d’une salle bondée et excitée. Car ce succès, même s’il est salutaire pour la carrière de Katerine, n’en est pas moins un malentendu. On voit mal des albums comme 8ème Ciel ou Les Créatures/L’Homme A Trois Mains faire l’objet d’un tel engouement. Il y aura forcément un moment où le public fraîchement acquis sur la fois de deux tubes rigolos se détachera de Katerine, ne cherchant pas à pousser l’expérience plus loin. Et ça, le chanteur ne le sait que trop, ce qui le pousse à ne rien s’interdire ici, pour le résultat que l’on sait.

Ceci étant dit, si Katerine devait un jour retourner dans son petit univers, continuant à broder une discographie précieuse et aventureuse, on ne craint pas pour son équilibre mental. Et au moins, en attendant, on se sera bien marré…

– Son site officiel