La paire multi-instrumentiste de Portland faisait jusqu’ici plutôt figure de second couteau chez Sub Pop, le label des Shins. Il est certain qu’avec cette dernière offensive au spleen héliopop, les regards posés sur eux vont changer. Séquence émotion.


Notre résolution pour l’année ? Ecouter uniquement des troisièmes albums. Selon de récentes études établies par le CRLP (Centre de Recherche du Laboratoire Pinkushion), il semblerait en effet que certaines formations rock franchissent avec succès ce cap tant redouté du 3e album. Plutôt une bonne nouvelle, non ? Dès janvier, la série a été inaugurée avec bonheur par les histrions revanchards de British Sea Power, puis la classe Cass McCombs, incarnation même de l’élégance indie pop, sans oublier les fantômes béats de Syd Matters. On continue donc sur la lancée avec le spectaculaire duo de Portland, Helio Sequence. Etouffés sous l’avalanche de sorties dominées par Vampire Weekend, Nick Cave, Neon Neon et autres belles promesses de cette rentrée, nos outsiders du label Sub Pop passeraient presque inaperçus. Et pourtant, Keep Your Eyes Ahead est incontournable pour tout amateur de pop de haute-voltige.

Quelque part entre le modernisme pop de South et l’emphase rock d’un Secret Machines, Helio Sequence vient se poser. Doté d’un arsenal technologique presque outrancier (batterie d’effets de guitare, abondance de textures synthétiques, disque dur plein à craquer), ce duo fait à lui seul un tintamarre du tonnerre à faire trembler les gradins de l’auberge espagno-suédoise I’m From Barcelona. Le binôme composé du chanteur, compositeur et guitariste Brandon Summers et du batteur/claviériste Benjamin Weikel, sévit depuis une bonne décade, mais leur parcours discographique demeure erratique jusqu’à leur signature chez Sub Pop en 2003. Keep Your Eyes Ahead serait leur quatrième livraison en vérité, le premier, Com Plex (2000) étant considéré par ses géniteurs comme une ébauche à ne pas vraiment prendre au sérieux.

Si les avancées soniques apportées sur Love and Distance (2004) furent salutaires pour le duo, ils échouaient cependant sur ce disque à insuffler un peu d’âme à leurs compositions. De là s’explique peut-être cette protubérance de mélancolie qui habite son successeur.
Cette douleur inédite perceptible dans la musique du combo n’est pas dénuée de charme et brise la glace occasionnée par tout leur attirail instrumental. A tel point que Keep Your Eyes Ahead passerait presque pour un disque de commande de Sub Pop, tant les prétentions mélodiques de Summers et Weikel se mesurent aux fins escrimeurs pop que sont les Shins, Rogue Wave, Band Of Horses et les p’tit derniers à ne pas négliger Grand Archives

Sur cet opus court (neuf véritables chansons), la voix de Summers a gagné en gravité et désespoir (ses cordes vocales sérieusement endommagées durant la précédente tournée l’ont conduit à une période de rééducation de deux ans, sans certitude de pouvoir chanter à nouveau). On reconnaît d’emblée chez Helio Sequence cette habileté à batailler leur rock à combustion electro/shoegazing (les inventifs “Can’t Say No” et “The Captive Mind”). “Keep Your Eyes Ahead”, le morceau qui donne son nom à l’album, est un sommet de spleen rock enlevé dont les arpèges clairs dament le pion aux cadors du genre, feu The Chameleons.

Mais tout bien considéré, c’est sur l’exercice périlleux des folk songs atmosphériques que le tandem se distingue. Dans ce registre casse-gueule où cohabitent tradition et progrès, le chant de Summers prend toute sa dimension tragique, notamment sur “Shed Your Love”, une ballade solaire poignante bordée de nappes léthargiques obsessionnelles – une petite séquence d’heliothérapie, en somme. La surprise est même totale lorsque son accent louche sur Dylan dans “Broken Afternoon” et trahit quelques appétences country.

Qu’on se le dise, Helio Sequence en a fini d’épater la galerie, et s’est rangé au service de ses chansons. Keep Your Eyes Ahead s’écoute tête baissée, yeux écarquillés et cœur ouvert.

– Leur page Myspace

– Le site d’Helio Sequence chez Sub Pop