Pascal Bouaziz est drôle. Non pas qu’on se poile franchement pendant ses chansons, mais il faut voir sa stature ahurie se poster devant le micro en début de concert et se lancer dans son introduction, prenant la posture d’un souverain remerciant solennellement « le peuple de Mendelson » pour sa venue, n’oubliant personne, pas même « les provinciaux » qui auraient fait le voyage, cherchant ses mots et jouant avec brio de la phrase qui tombe à plat.

Nul doute que le peuple de Mendelson est acquis à sa cause : on ne vient pas voir ce groupe par hasard (« groupe » désignant ici un ensemble allant de 1 à un certain nombre de musiciens). Et tous ceux qui attendaient leur retour sur scène auront fait en sorte de ne pas rater l’événement. Si le dernier album, Personne ne le fera pour nous, a reçu d’excellentes critiques, au point d’être finalement distribué chez les disquaires après avoir été cantonné à la vente en ligne, Mendelson reste pointu, à leur corps défendant.

Peuple de Mendelson, donc, ouvre les yeux et les oreilles. Yeux, oui, car le concert sera accompagné d’une projection de films de found footage, clips, images, correspondant à chaque chanson, et réalisés par un certain Nicolas Bouaziz.
La configuration de la scène est simple : au milieu, un vidéo-projecteur, un grand écran. A gauche, le Pascal, massif. Et à droite, le guitariste Pierre-Yves Louis, chargé de distordre tout ce qu’il pourra distordre. A gauche aussi, élément dont on verra l’importance, un lecteur DVD.

Ris donc, ris au discours de Pascal Bouaziz, spectateur, car tu ne riras pas tant. Tu n’es pas là pour ça. Et Mendelson te le fait comprendre d’entrée, entamant le set par « Le sens commun » : « […]A vivre trop longtemps dans sa tête, on perd le sens commun. Il a violé puis tué la fille, croyant lui faire du bien[…] ». Et alors tout est mis en place : la voix du chanteur, audible et distincte, la violence des guitares, qui s’ajustent au film en un instrumental osé pour une entame de concert.

Et chaque chanson nous fait replonger, malgré les intermèdes hésitants où Pascal Bouaziz, dans un choix de mise en scène assurément radical, doit à chaque fois attraper la télécommande JVC, appuyer sur « next track », ce qui affiche à l’écran deux petites flèches poétiques >>, nous ramenant à de basses considérations matérielles.
Mais il suffit de quelques mesures, quelques mesures de « Monsieur », par exemple, noyé dans les guitares un peu indistinctes, pour se retrouver de nouveau dans les récits. On suit des yeux les images, on passe d’un musicien à l’autre, on projette les paroles sur les personnages qui s’affichent en fondu, courant dans des couloirs, courant en boucle, revenant en arrière comme dans un film de Martin Arnold : Mendelson fonctionne comme ça, Mendelson raconte des histoires.

Et ces histoires sont longues et développées, se foutent des pieds et des strophes, laissent le chanteur les dévider sans lui laisser de répit. Et alors la tension de ces histoires se ressent dans la voix, l’attitude, le visage de Pascal Bouaziz, que l’on sent parfois déstabilisé, qui nous fait partager sa lutte avec ses propres textes, sa lutte avec les vidéos qu’il guette parfois du coin de l’œil. On souffre un peu avec lui lorsqu’il ampute « Personne ne le fera pour nous » d’une bonne partie de ses paroles, se dédiant alors la chanson suivante : « Crétin ». On ne lui en veut pas, on se met à sa place. Et justement, à sa place, on redoute la chanson attendue, « 1983 (Barbara) », et son texte immense. On aurait voulu l’adorer, cette version, mais il y a ça, cette difficulté à avancer dans une chanson pourtant si fluide, il y a comme le rempart de l’empathie avec le chanteur qui nous empêche d’atteindre les paroles vraiment et de plonger une fois encore dans sa cité, dans ses lits superposés, dans ses rêves de Comics, dans ses souvenirs de 1982, 1983.

Pascal Bouaziz

Mais il y eut plusieurs sommets tout de même pendant ce concert, sommets de tension pour un concert tendu : « La honte », « L’Ardèche » (« pour nos amis provinciaux »), sorte de courbe dramatique implacable, « Crétin », où Pierre-Yves Louis se transforme en guitar-hero déglingué, attaquant son instrument avec rage. « J’aime pas les gens », enfin, chanson dans laquelle le name-dropping si prisé aujourd’hui prend toute sa valeur, toute son ampleur, qui n’est pas là pour se faire valoir, mais bien pour construire un personnage, une personne. Cette personne, l’auteur de ces textes, Pascal Bouaziz, qui sous les abords abrupts, sous les titres plombés, sous les couches de guitares qui frottent, sait se faire touchant : il ne nous trompe pas, dans sa liste de “J’aime pas”, car c’est pour mieux finir : « […]j’aime bien qu’on m’aime, je t’aime bien toi ».

On ne vient pas à un concert de Mendelson pour se poiler, non, on y vient pour se faire bousculer par quelque chose de sincère, quelque chose fait de sobriété, de violence et de recul. Et lorsque le générique de fin se déroule, comme ce soir-là au Divan du Monde, on reste, bousculés, comme après un très bon film, jusqu’à la fin.

Lire également :
– la chronique de Personne Ne Le Fera Pour Nous
– l’interview de Mendelson