Nous avons rattrapé Dale Grundle, ex Catchers désormais The Sleeping Years, sur un premier opus de folk élégant et racé, hors du temps.


Les aiguilles de la grande horloge s’emballent et nous ramènent en 1994. Le quatuor irlandais Catchers vient alors de sortir l’album Mute, premier pas sur le label Setanta. « In her Sleeping Years deeply slung within a hammock made of skin », c’est sur ces mots au sens abstrait que s’ouvre l’inaugural “Beauty No3”, vite éclipsé, il faut le dire, par un refrain littéralement prenant « Can’t you see the Tragedy as your dream begins to leave ». Aujourd’hui le mystère de ce couplet s’éclaircit un peu. Ce sera finalement cette ligne que l’ex-lieutenant des Catchers, Dale Grundle, retiendra pour baptiser son nouveau projet, The Sleeping Years. Sans doute peut-on y voir une ironie volontaire dans ce choix de patronyme, quelque part prémonitoire après des années de silence consécutif à la fin de cette formation tellement prometteuse.

Ainsi la rumeur était vraie : revenu de nulle-part, Dale Grundle composait à nouveau. Le multi-instrumentiste signait l’année dernière trois EPs autoproduits inespérés, sortis au compte-goutte. En guise de cadeau rare, offert après un retour d’un long voyage, les disques sont présentés dans un emballage unique, tous signés et numérotés. L’objet est tellement classieux que beaucoup oseront à peine l’ouvrir de peur de l’esquinter (authentique !). Passé le décorum, l’écriture élégante de Grundle n’a rien perdu de sa superbe. Les impériaux et addictifs “Clocks and Clones” et “Human Blues” évoqueront d’emblée aux fidèles quelques relents de candeur mélodique passée. Avec l’âge, le vague à l’âme de Grundle s’accompagne même d’un goût affirmé pour les arrangements intemporels, dans la lignée aristocratique d’un Nick Drake et des folksongs éplorées d’un Mark Kozelek. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Robert Kirby, légendaire arrangeur de Bryter Layter, produisit le second album posthume de Catchers.

Il y a chez The Sleeping Years cette façon de se tenir droit, cette révérence innée, ancrée dans une tradition anglaise qui se perd un peu et dont le flambeau demeure envers et contre tout entretenu par les valeureux Trembling Blue Stars de Bobby Written. Forcément, cette nostalgie joue un peu de son côté. Pourtant, les Catchers ont souvent été, à tort, assimilés à des enfants de la cold wave – la faute à la sublime couverture très Dead Can Dance d’Harry Borden ou à la production de Mike Hedges, fidèle valet de la reine noire Siouxsie ? Grave erreur, Mute était avant tout un fantastique disque de pop automnale, et “Cotton Dress”, la plus grande chanson que les Go-Betweens n’ont pas signée cette année là.

Sur We’re Becoming Islands One By One, les chansons désolées de Grundle ont trouvé lieu d’efflorescence en la compagnie de Michelle So (vocaux, violoncelle, piano) et Tom Page (batterie). Six des dix morceaux de l’album sont tirés des EPs de l’an dernier, tous superbes, retravaillés en studio sous le parrainage du fin et expérimenté Ian Dowling (Rufus Wainwright). Les amateurs de pièces folk satinées seront aux anges… Lorsque la maîtrise est telle, il est toujours miraculeux de constater à quel point quelques minces arpèges acoustiques articulés autour d’une voix chétive suffisent à provoquer un effet sfumato, évanescent : “The lockkeeper’s cottage”, “Macosquin, Coleraine” , “Dressed For Rain”… Dans ces moments nus, Dale Grundle fait mouche à chaque fois. Enfin, infime détail, le lamento, lorsque trop apitoyé, peut rappeler la voix éreintante de… Brian Molko. A la différence que, contrairement au leader de Placebo, Grundle conserve lui une pureté, une douleur rentrée qui ne sait que trop émouvoir. Décidément, cet éveil a des allures de retour à la lumière.

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