Devant une salle médusée, dans la quiétude d’une journée finissante de juin 2000, au Suoni Per Il Popolo Festival de Montréal, Joe McPhee converse avec Dominic Duval, son comparse du Trio X. Le moment, à peine perturbé par quelques applaudissements enthousiastes, émouvant autant que peut l’être une rencontre inscrite sous le signe de la confidence entre amis, requiert une attention toute particulière. Après quelques premières minutes passées à tâtonner, se doser et poser les bases de ce qui s’apparentera, sur le mode d’un rituel, à un échange vibrant de solitudes, le duo saxophone alto/contrebasse atteint rapidement une stupéfiante intensité. Dans le dessin des sonorités et la conversation des timbres s’entend une géographie de l’intime, exposée par fragments, éclairs et altérations rythmiques. Des profondeurs du corps McPhee tire une sève organique dont les montées successives sont autant d’inquiétudes soufflées hors de soi, bientôt dissipées dans l’espace tel un murmure. Tout aussi concentré et disposé à faire entendre sa musique intérieure, Duval fait preuve de complicité, sinon d’empathie et soutient les expansions solitaires de l’alto, en intensifie la nature imprévisible, en souligne la musicalité triomphante, porte au diapason l’émotion à son comble. Quand bien même le pouvoir de la nuit aurait tendance à infléchir les corps gagnés par la lenteur, le tourbillon de musiques renaît de plus bel, en un surgissement de forces viscérales. Conjurer le silence, s’en extirper ou le laisser envahir l’espace. Ailleurs, ouvrir la porte et inviter une mélodie serpentine, comme un courant d’air. Parfois, autoriser les bouches à crier, violenter les instruments, remettre en jeu chaque instant le danger de jouer. Entre emportement et méditation, au plus près de l’histoire (de l’intime, du jazz, de l’improvisation, de la modernité), The Open Door, grand disque où se raconte dans l’instant, à fleur de notes, deux vies atemporelles.

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