Retour pied au plancher de la vieille bande d’Athens avec le rock débraillé des débuts. Un résultat à peine réjouissant mais un groupe toujours essentiel.


On s’était fait une raison, depuis une grosse décennie et pas moins de trois albums, l’urgence et l’électricité faisaient définitivement partie du passé de R.E.M., groupe qui avait pourtant largement contribué à la légende du pop-rock américain à grosses guitares des années 80 et même 90. Accelerate est donc en soi une sacrée surprise, puisque seules les six-cordes ont voix au chapitre (ou presque) tout au long de ces onze titres enflammés, livrés en moins de 35 minutes.

Souvenons-nous. D’abord, volée de bois vert à la sortie du très mésestimé New Adventures In Hi-Fi (1996), mais à peine moins violente et injuste que celle qui fut infligée à Monster (1994), album moyen mais porteur de titres phénoménaux – “What’s The Frequency, Kenneth ?”, “Tongue” ou “Let Me In”. Orages suivis de près par l’abandon de poste du fidèle batteur Bill Perry, victime d’une hémorragie cérébrale en plein concert qui faillit bien lui coûter la vie, évènement qui aurait pu être fatal au groupe. A l’aune de cette succession de déconvenues, Michael Stipe avait annoncé la couleur : c’était la fin définitive du rock, voici venu le temps de l’introspection, l’oxygène et les ballades aériennes. Nouvelle à peine inquiétante tant Automatic For The People (1992), ses mandolines, ses ballades tristes et belles à pleurer, ses claviers atmosphériques et la voix brûlante de Mike Stipe, avait durablement marqué les esprits et demeure, 16 ans après sa sortie, la pierre philosophale du groupe.

Pourtant, ni Up (1998), ni son calque Reveal (2001), deux albums portés par des claviers veloutés, élégants, élégiaques, mais un brin trop timorés pour être tout à fait honnêtes, et encore moins Around The Sun (2004), disque poussif et poussiéreux, n’avaient convaincu le public fidèle et pantagruélique comme les masses à déniaiser. Restaient la légende et trois garçons roublards, modestes, bardés de convictions et toujours prompts à hausser le ton pour défendre leur pays chéri de la lente sclérose conservatrice qui l’envahissait. Mais c’était oublier un peu vite que R.E.M. avait d’abord été un des groupes qui avait donné envie à un certain Kurt Cobain de prendre une guitare, et aussi que Michael Stipe était et demeure encore et toujours un parolier certes lent (merci les copains pour la confession), mais formidable. Et le duo d’amis rescapés, Mike Mills (basse) et Peter Buck (guitares), une machine de guerre que la rouille ne concerne pas.

Voilà donc Accelerate, l’album du retour au pop-rock frontal, à l’heure où les groupes qui le ressuscitent, si on additionne l’âge de chacun de leurs membres, sont à peine aussi âgés qu’un seul des pappys de R.E.M. Et il ne faut jamais perdre de vue que c’est dans les vieux pot(tar)s que l’on fait les meilleures chansons. Car Accelerate, mon jeune ami, est un disque rentre dedans, brut de décoffrage, sans artifice ni maquillage. On branche jacks et micros, on jette balais et synthés, et on balance la sauce. Oui, c’est sûr, cela fait déjà quelques années que bon nombres de groupuscules tous plus ou moins convaincants, plus ou moins boutonneux et tous plus ou moins talentueux font montre d’une énergie toute juvénile quand il s’agit de décaper cette vielle institution qu’est le rock. Et chacun de crier qu’il est le nouveau héraut électrique d’une musique qu’il ne fallait surtout pas laisser entre les mains des dinosaures. Erreur funeste, gamin, car les vieux requins n’en sont pas arrivés là par hasard.
Dès le premier riff de “Living Well Is The Best Revenge”, on sent les R.E.M. revanchards, animés d’une envie débordante d’en découdre. Guitares omniprésentes, harmonies vocales interstellaires, mélodie limpide, et surtout chant incandescent, phénoménal – on a d’ailleurs le sentiment réjouissant que les années n’ont aucune prise sur Michael Stipe. Et la suite transforme l’essai, Accelerate se construit en une succession d’hymnes tantôt fiévreux, tantôt ténébreux, pas franchement révolutionnaires, mais jamais anodins. A peine lèvent-ils le pied à deux ou trois reprises, de sombres pièces qui ternissent l’ambiance, telles “Hollow Man” ou l’inquiétante “Houston” (qui annonce au passage le retour de la mandoline chez R.E.M.). Mais c’est pour mieux réarmer sur des brulôts qui ne manqueront pas d’embraser les stades que le trio visitera très probablement dans les mois à venir. La hargne est maîtresse tout au long de ce quinzième album, servie par un savoir faire incontestable et une capacité même pas entamée à écrire des tubes, des classiques même – “Horse To Water”, “Accelerate” la chanson, “Supernatural Superserious”, “I’m Gonna DJ”.

Malheureusement, cet album est presque trop banal pour un groupe de cette trempe. On est en droit d’attendre de la part des chantres du rock indé américain un modèle, une orientation à suivre plutôt qu’une leçon de morale. Si le plaisir de l’écoute est authentique, celui des retrouvailles est quelque peu gâché par un manque d’aventure, d’expérimentation. Ils semblent vexés et veulent le faire savoir, pas sûr qu’ils aient opté pour la bonne méthode.

Malgré tout, R.E.M. demeure un groupe phare, culte, pivot, bref, fondamental, et le simple signe de vie, surtout énergique, est en soi une très bonne nouvelle. Et si cette fois-ci ils n’apportent rien d’original à l’histoire du rock, ils affichent un bilan de santé de jeunes hommes. De bon augure pour la suite.

– Le site officiel de R.E.M.