Les Belges d’Anvers ont retourné leurs poches, construit un studio, et fêté ça avec un nouvel album. Ils sont heureux, et ça se sent. Ils ont même fait chanter des enfants. Pas cool…


On aurait tant voulu l’adorer, ce nouvel album de dEUS. Trois ans après le discuté Pocket Revolution, le groupe phare de la scène belge revient avec exactement le même line up, un véritable évènement en soi tant on sait combien Tom Barman a multiplié les formules dans le passé. Deuxième bonne nouvelle, il n’aura fallu attendre cette fois que trois ans pour ce cinquième album. Et en trois ans, la petite entreprise de Barman a consolidé ses nouvelles fondations, allant jusqu’à créer son propre studio à Anvers, Vantage Point. D’où le nom de ce nouvel album.

Mais les bonnes nouvelles s’arrêtent malheureusement là. Vantage Point est en effet littéralement massacré par sa production putassière, toute en claviers, entrelacs vocaux poussifs, et guitares réverbérées comme des hôtesses de nuit dans un bar huppé. Cette production, dont le coupable est Dave McKracken (vu aux côtés de Depeche Mode ou Faithless), saute à la gorge dès les deux premiers titres de ce nouvel opus, “When She Comes Down” et “Oh Your God”, deux morceaux par ailleurs faibles à l’origine.

Transition facile pour avancer l’autre problème de Vantage Point, ses chansons. A plusieurs reprises, on sent Tom Barman essoufflé, en manque d’inspiration pour ce qui est de la composition (sentiment déjà présent sur Pocket Revolution). Jusque-là, la grande force de dEUS résidait dans sa capacité à magnifier des lignes mélodiques simples, voire chiches (“Instant Street”, dans le magistral Ideal Crash, “Little Arithmetics” sur In A Bar Under The Sea, ou “Sun Ra” sur Pocket Revolution). Aujourd’hui, les lentes montées en puissance typiques du groupe sont piétinées par des guitares asthmatiques, des claviers cheap ou, pire, des vocaux lourdingues, mettant en exergue le dénuement de certains titres – “Is The Robot”, “Favorite Game”, “Slow”, ou “The Vanishing Of Maria Schneider”, mélopée honnête salement amochée par des sha-la-la-la grotesques et même par une montée de batterie (!!!).

On a bien compris que Tom Barman souhaitait, à son tour, rendre hommage à ses années 80. Pas sûr qu’il s’agisse d’une bonne idée. Entre une batterie de bûcheron (on est bien loin des percussions extraordinaires qui ornaient The Ideal Crash), ces claviers omniprésents et surtout ce son vulgaire qui va si mal à son rock, il a réussi l’exploit de faire de Vantage Point un manifeste pour un jeunisme béat.

A une seule reprise cette étrange mixture fonctionne à la perfection, sur “The Architect” (logiquement choisie en guise de premier single), un titre puissant et carnassier derrière son humour noir. Sinon, il faut multiplier les écoutes patientes pour trouver, sous ces innombrables couches de rimmel low cost, de vraies bonnes chansons – parce qu’il y en a. “Eternal Woman” est une ballade qui aurait pu (dû ?) être merveilleuse, LE gâchis ultime de cet opus, rappelant combien Barman est un grand chanteur – son live acoustique avec Guy Van Nueten en était une formidable preuve. Il y aussi la modeste “Smokers Reflect”, noyée sous l’écho d’un piano en guimauve, ou enfin “Popular Culture” qui, sans ces choeurs enfantins un brin coincés sous leurs aubes blanches, aurait pu illuminer ce disque.

Au-delà du pataquès médiatique créé par un entretien de Tom Barman publié trop tôt en son pays, au goût de son sympathique label, Vantage Point fait déjà beaucoup parler de lui. Mais en toute honnêteté, pas sûr qu’on lui aurait accordé autant d’intérêt s’il n’avait été commis par dEUS, un groupe qui a durablement marqué l’histoire du rock européen avec deux disques résolument immenses, faut-il le répéter, In A Bar Under The Sea (1996) et surtout le chef-d’oeuvre The Ideal Crash (1999). On n’aurait pas pardonné ce grimage tape à l’oeil à un groupe de primo-arrivants. Reste derrière ce gâchis, encore, une grosse poignée de bonnes chansons qui seront probablement transcendées sur scène. Et un studio tout neuf.

– Le site officiel de dEUS