« Un bon album avec de bonnes chansons se suffit à lui-même », ce n’est pas moi qui le dis mais The Blakes. Et leur formule résume parfaitement leur premier album… Mine de rien, ce trio originaire de Seattle nous sert un premier album garage rock (avec une pincée de noisy pop) qui ne révolutionnera pas la donne, mais se révèle diablement efficace.


Dans les locaux de leur maison de disques, le chanteur/guitariste Garnet Keim, joue les pitres de service en improvisant sur sa tête un Tee-shirt noué comme un bandana du plus ridicule effet. Son frère Snow, hilare devant « cette allure de clodo », ne manque pas de le lui signaler. Bob, le batteur un peu timide, sosie improbable de Judah Bauer, observe ce remue-ménage amusé. On sent qu’on ne va pas s’ennuyer…

Pinkushion : J’ai lu sur votre MySpace que vous étiez excités à l’idée de retourner jouer pour une seconde fois en France. (ndlr : ils tournent au côté de The Gossip, The Kills et Pete and the Pirates.)

Bob Husak (batterie) : On adore être ici.

Garnet Keim (voix/guitare) : On a quand même eu quelques temps difficiles avec la nourriture. Comprends-nous, Seattle propose une vraie structure au breakfast, avec des patates, des bacons, plein de choses… Les portions sont énormes. Ici, il n’y a pas de breakfast ! Ce sont plein de petites choses que tu dois rassembler, un temps perdu énorme… pas très motivant.

Si tu as des difficultés d’adaptation d’ordre alimentaire, ce ne sont pas les Mc Donalds qui manquent à Paris.

Garnet : Non, mais j’adore Paris. Je n’ai réalisé à quel point j’aimais cette ville que lorsque je suis rentré. Dans ma ville, les paysages sont toujours les mêmes, je regardais dans la rue, autour de moi, rien n’est comparable à ici. Quelle belle ville. Tout est tellement… La mode, les femmes. Il se dégage une harmonie, même avec les gens. Quand tu retournes aux États-Unis, tout semble moche ! (ndlr : les deux autres s’esclaffent). Ce que j’apprécie aussi en France, c’est le côté raisonnable par rapport aux supports technologiques, en Grande-Bretagne aussi remarque. Ici, on n’a jamais vu autant de téléphones portables, alors qu’aux États-Unis tout le monde possède le dernier iPhone ou son laptop. Tout le monde se trimballe constamment avec.

Snow Keim (basse/chant ): Probablement qu’ici les gens ont également ce genre d’outil, mais ils sont moins impliqués dans cette course à l’armement technologique.

En fait, l’Iphone est encore très cher en France.

Snow : Ah vraiment ? Cela reste également cher aux États-Unis, mais c’est devenu tellement courant.

Vous avez participé à l’émission de Canal + « L’album de la semaine ». Lors du passage que j’ai vu, vous avez interprété un excellent morceau que je ne connaissais pas.

Snow : Tu dois sûrement parler de “Basket”. C’est une chanson qu’on a en fait enregistrée pour le iTunes Américain. Nous avons fait une « live session » pour eux, il me semble que ce n’est pas encore sorti. On a enregistré six ou sept morceaux, dont quatre inédits, mais je ne suis pas trop satisfait du résultat.

Cet intérêt porté par les médias français pour le groupe. Est-ce particulier à la France ?

Snow : Nous avons aussi eu des chroniques dans le NME, des revues branchées comme The Fly en Angleterre.

Garnet : Aux États-Unis, c’est plus particulier. Pas tellement de presse nationale, plutôt underground. Mais je vais te dire quelque chose : aux États-Unis, c’est toujours pareil, tout le monde doit dire que tu es bon au même moment. Cela fonctionne comme un consensus général. En France c’est différent, les gens semblent plutôt intéressés par l’aspect nouveau et semblent moins dépendants des autres médias. Ils ont confiance en ce qu’ils pensent. Aux États-Unis, c’est plutôt « je pense que j’aime bien ce que tu fais, mais attendons de savoir ce qu’en pensent les autres ». Si c’est « non, non et non », moi non plus je n’aime pas. Et, inversement, si le oui est général, tout est parfait. Il n’y a pas cet esprit d’opinion individuel.

Pensez vous que l’intérêt porté à l’album aux États-Unis a une durée plus limitée ?

Garnet : Hmm… Bonne question. Tout est encore très frais aux États-Unis, tout dépendra du single et de iTunes. Ce qui se passe actuellement aux États-Unis, c’est que beaucoup de groupes deviennent énormes en faisant les couvertures des magazines avant même que le disque ne sorte. Ils ont seulement quatre ou cinq chansons sur un EP. Voilà où nous en sommes…

Snow : C’est donc difficile à dire, il semble que les choses changent tellement vite.

Garnet : C’est une très bonne question. Je pense qu’il y a une réponse à cette question. (rires) Est-ce que c’est la même situation en France ?

Ce phénomène existe aussi. Des groupes font les couvertures puis disparaissent. Mais il y a aussi des groupes pop comme Nada Surf qui perdurent avec un public fidèle.

Garnet : Parfois un bon album avec de bonnes chansons se suffit à lui-même. J’aime le penser en tout cas. Je détesterai l’idée d’être le groupe « fashion » de la semaine.

En tous cas, permettez-moi de vous féliciter, l’album ressemble d’ailleurs à une compilation de bons morceaux.

Garnet : Merci.

Je me demandais si c’était le fruit de compositions collectées durant une longue période, étant donné que le groupe s’est formé en 2001.

Garnet : Oui et non. Toutes les chansons datent de 2004/2005. “Lie Next To Me” et “Pistol grip”, ces deux-là sont les plus vieilles chansons. Je les ai écrites à la maison avec une guitare acoustique, j’étais plutôt influencé par le son des White Stripes à cette période. Il y avait en quelque sorte un nouveau son en Amérique, qui était dominé jusqu’alors par du heavy rock. Quand j’ai écouté ces chansons avec seulement une guitare et un rythme de batterie basique, je me suis dit que c’était vraiment cool. Et puis nous avons continué, on a un peu oublié ces deux chansons. Pour l’album, nous avons écrit à peu près une trentaine de morceaux, on s’est dit qu’en utiliser de vieux serait une erreur, à l’exception de ces deux titres.

Ce qui est remarquable, c’est cette variété de styles bien que l’on reste fidèle à un certain esprit garage rock.

Garnet : Merci, encore. C’est une chose. Sur beaucoup d’albums aux États-Unis, les chansons se ressemblent toutes. Au lieu de faire une bonne chanson et répéter dix fois le même style, nous voulions faire plusieurs bonnes chansons dans différents styles.

C’est pour cela que je me demandais, du fait que vous avez traversé différentes périodes, si tous ces styles en témoignaient.

Snow : C’est certain, nous avons traversé différentes périodes et différents styles.

Garnet : Bien sûr. Et notre son continue de changer. On ne souhaite pas nécessairement créer un son entre le punk et le « mellow ». Maintenant nous sommes pop, mais à l’époque c’était différent, il y a toujours de nouveaux styles qui viennent vers nous.

Snow : C’est aussi agréable de pouvoir s’approprier différentes formes. Un jour cela peut partir d’une guitare acoustique, mais le lendemain la clé peut être une batterie ou un piano. C’est bien de ne pas garder la même vision d’une chanson. Je pense que c’est de là que vient la diversité de l’album. Et puis l’album a été enregistré durant une période de cinq mois.

Garnet : Durant l’enregistrement de l’album, nous écoutions l’album blanc des Beatles. Ce qui est frappant avec ce disque, c’est que c’est une collection de grandes chansons, mais avec différentes productions. Le matériel reste majoritairement acoustique, il y a tellement de traitements, les tempos changent mais cela ne compte pas et c’est ce qui rend l’objet intéressant. Par exemple, une chanson comme “Lint Walk” sur notre album, avec ses claviers, tranche avec le reste, apporte une certaine fraicheur.

Et pour le prochain, envisageriez-vous d’enregistrer un disque moins varié, mais plus cohérent en termes de production ?

Garnet : Notre identité, c’est justement de changer.

Snow : D’une certaine manière, c’était notre intention. Mais nous avions tellement de titres que nous aimions que nous étions incapables d’en laisser un de côté. Je pense que, finalement, le disque est plus cohérent qu’il n’aurait dû.

The Blakes, de gauche à droite : Snow Keim , Bob Husak  et Garnet Keim

Pourquoi avez-vous mis autant de temps à enregistrer votre premier album ?

Snow : Je suppose que nous avons continué à vouloir enregistrer des morceaux. Nous n’étions jamais contents du résultat. Chaque fois qu’on pensait tenir quelque chose, on en enregistrait dix autres pour voir si quelque chose d’autre se passerait. Là nous avons déjà accumulé trente nouveaux morceaux pour notre second album. Nous devrions faire des copies de ces chansons, mais de toute façon cela va continuer, nous allons encore enregistrer des morceaux. On est vraiment difficiles.

Comment procédez-vous pour composer en trio ?

Garnet : C’est chaque fois différent. La première chanson “Two Times” a été écrite ensemble alors que nous répétions, cela a pris 10 minutes. Tu connais la chanson “Gimme Shelter” des Rolling Stones ? On aimait bien cette basse bluesy qu’on a dupliquée, et puis j’ai poussé une gueulante dessus (ndlr : il hurle).

Snow : La deuxième chanson de l’album “Don’t Bother Me” a été composée chez moi. J’ai commencé avec un clavier et un tempo que j’ai enregistré avec un petit ordinateur, puis j’ai branché les guitares dessus… Le plus souvent, j’apporte des démos, on travaille dessus tous ensembles, on essaye de garder une certaine fraîcheur, mais on ne sait jamais ce qui peut arriver. Souvent je préfère d’ailleurs mes petites démos, car c’est quelque chose de personnel. Parfois, je pense qu’on perd quelque chose lorsqu’on refait le morceau, mais c’est évident que la qualité d’enregistrement en studio est largement meilleure. Les refrains et les mélodies en tout cas.

Durant sa première période, Guided By Voices a enregistré tous ses albums sur un quatre pistes. Ça ne vous tente pas ?

Snow : Chaque album ? C’est énorme. On pourrait sortir quelques démos ainsi, ce ne serait pas une mauvaise idée.

J’ai lu qu’Iggy Pop était fan du groupe ?

Garnet : Oui, il était au festival South by Southwest à Austin (Texas), il y a de ça un an. Ce qui s’est passé, c’est qu’il enregistrait une session radio et nous faisions partie du public dans le studio. Notre chanson “Two Times” était numéro 1 de la programmation, le morceau est passé pendant qu’il était dans les coulisses. Iggy Pop est allé voir notre DJ, qui était le manager à l’époque, et lui a demandé « Qui est-ce ? C’est très bon ! ». Puis le DJ est venu nous voir : « Hey les gars, venez ici, vous savez quoi ? Vous ne devinerez jamais ce qu’Iggy Pop m’a dit ! ». Ce mec est tellement cool…

Vous avez toujours évolué en trio ?

Bob : Nous avons tourné avec un autre musicien, mais cela ne nous a attiré que des ennuis. Cela ne fonctionnait pas.

Garnet : Le seul musicien qu’on a embauché était un second guitariste, car parfois c’est une bonne combinaison. Mais cela ne collait pas, on en revient toujours à notre formule trio. C’est ainsi.

Bob : Nos concerts sont différents, nous ne jouons pas les chansons comme sur l’album. C’est vraiment fun d’être un trio, tu peux mieux maîtriser ton espace.

Garnet : C’est bien plus fou, plus rock n’roll et direct.

Garnet : Je peux faire ce que je veux, et je le fais ! Je ne sais jamais si j’essaierai de nouvelles choses. Deux guitares, c’est bien pour la sécurité du jeu. Jouer dans un trio cela peut effrayer beaucoup de guitaristes car c’est une lourde responsabilité. Il faut concilier la partie rythmique et la lead, mais il faut aussi chanter. C’est beaucoup de choses à faire, mais il ne faut pas à y penser et plutôt le faire comme tu le souhaites.

Quels sont les trios qui vous inspirent ?

Garnet : Buddy Holly & The Crickets, J’adore ce qu’il faisait car il est très mélodique et avait de très bonnes chansons. J’aime bien aussi le premier Green Day, pas le nouveau, horrible. Et bien sûr Nirvana, impressionnant. The Jam

Bob : Il y a beaucoup de trios excellents : U2 est un excellent trio, (ndlr : têtes éberluées des deux autres). Ben oui, car Bono ne joue pas d’instruments (rires). Peut-être que ça ne compte pas, mais pour moi oui.

Garnet : The Doors alors !

Je vais vous donner une liste de noms, dites-moi tout de suite ce qui vous passe par la tête ? XTC ?

Garnet : Super.

Bob : C’était un trio ? Ah oui, lorsqu’ils ont arrêté de tourner.

The Replacements ?

Garnet : Super.

Hüsker Dü ?

(ndlr : Moue générale)

Garnet : Pas vraiment notre tasse de thé.

Muse ?

Bob : Ils ont quelques chansons, OK, mais c’est un peu léger.

Garnet : Mouais, c’est de la merde…

Police ?

Garnet : Franchement, ils sont bons. J’ai seulement un problème avec leur Greatest hits, car dans le mot Greatest hits il devrait y avoir 20 morceaux « Great ». On devrait plutôt l’appeler un Police Hits (rires).

Bob : La meilleure chose chez Police c’est Sting, et la pire c’est Sting (rires). Certaines paroles sont vraiment légères, mais c’est un groupe tellement bon.

The Stooges ?

Bob : Super, mais ce n’est pas un trio.

Garnet : Nous sommes d’accord. Oui, mais c’est vrai que le groupe, c’est Iggy Pop et les frères Asheton.

Black Rebel Motorcycle Club ?

Garnet : Ils sont OK. En Angleterre, tout le monde n’avait que ce mot là à la bouche : « BRMC, BRMC ! ». Tu trouves qu’on sonne comme eux ?

Sur la première chanson de l’album, j’ai d’abord trouvé effectivement un lien, mais finalement avec le temps, vous vous rapprochez davantage des White Stripes.

Bob : Merci.

ZZ Top ?

Garnet : J’adoooore ZZ Top (rires). Il ne faut pas le dire aux Etats-Unis, car il n’y a pas plus ringard qu’eux (il imite les sons de synthés new wave). Un groupe marrant.

The Jimi Hendrix Experience ?

Snow : Fantastique… il y a aussi Cream que j’aime beaucoup aussi.

Dernière question, vos cinq albums favoris ?

Garnet :

The BeatlesHard Days Night

The BeatlesWhite Album

WeezerPinkerton

The SmithsGreatest Hits

Franz FerdinandS/T

Bob :

ZombiesOdessey & Oracle

The KinksVillage Green

Martin DennyExotica

Beach BoysPet Sounds

Skeeter Davis-CloudyWith Occasional Tears

Snow :

Beach BoysPet Sounds

The DoorsS/T

BeatlesWhite Album

Bob DylanBlood on the tracks

Sex PistolsNever Mind The Bollocks

(N.d.l.r : petite anecdote, lorsque je fais remarquer à Snow Keim dans sa liste de groupe favoris que A Love Supreme n’est pas de Miles Davis, mais de John Coltrane, il le raye tout simplement pour Never Mind The Bollocks. Rock’n’roll…)

– Lire également la chronique The Blakes, S/T (Light in the Attic/Pias)

The Blakes sur Light in the Attic Records