Second album du fervent sextet montréalais à grand renfort de cordes baroques. La démonstration éclatante que l’on peut enregistrer des disques visant la démesure tout en maintenant une ligne intègre et audacieuse.


C’est ce qu’on appelle un rendez-vous manqué. Ce n’était pourtant pas faute de s’être procuré Return to the Sea lors de sa sortie. Mais rien à faire, les éloges récoltées par le nouveau groupe de l’Ex Unicorns, Nick Thorbun alias Nick Diamonds, nous laissaient de marbre. Par quelle faute ? Celle d’avoir lâché prise un peu trop tôt ? Etait-ce notre état d’esprit qui n’était pas en phase à ce moment-là ? Ou la position des étoiles ? On a quand même notre petite idée là-dessus : la goélette rock néo-progressif sur lequel naviguait Islands aurait été coulée sans somation par les flamboyants pirates de Daniel « Danielson » Smith et son Ships battant pavillon vers les étoiles cosmiques. Deux albums sortis quasi simultanément qui rivalisaient notamment par leur parterre d’invités prestigieux : le tout Montréal qui compte pour Islands, et pour Danielson, les apparitions de Sufjan Stevens, Steve Albini, Why ?, Deerhoof… Tout de même, un groupe ayant autant d’amis estimables ne peut foncièrement être mauvais. Il suffisait d’attendre qu’Islands catalyse un peu son énergie… ce qui est désormais chose faite.

Tout d’abord, rectifier le tir sur ce second opus qui ne compte aucun nom en lettre dorée sur les crédits. A la place, une fanfare orchestrale, avec choeurs et violons en cascades, se chargera de combler spectaculairement le vide. Oui, désormais, Islands n’est plus une île, mais un continent. Arm’s Way (prononcer à la façon franco-canadienne sans « H», Bon Iver nous a déjà fait le coup) donne à entendre pour la première fois une oeuvre collective, sans interférence extérieure. Au regard des contretemps dûs aux remaniements de personnel – le départ du membre fondateur J’Aime Tambeur, le recrutement du batteur Aaron Harris, déjà de l’aventure Return to the Sea) – ce second album, écrasant d’ambition, est un tour de force dont nous n’espérions pas tant. Pilier du studio Bear Creek à Seattle (repaire notamment assidument fréquenté par Blonde Redhead, Built to Spill, Gossip…) Ryan Hadlock ne laisse rien au hasard : le son qu’il façonne est dantesque et sert fidèlement la flamboyance et l’obstination désormais décuplée du groupe. Il ressort de la musique des canadiens une envie incessante de casser son carcan indie-rock, quitte à assumer la surenchère.

Que l’on se rassure toutefois, le sextet n’envisage pas encore d’investir Wembley, il se contenterait allègrement de l’Olympia, une salle raffinée et d’ampleur encore humaine, dotée de plus d’un rendu sonore supérieur. Le plus frappant dans ces considérations ergonomiques, et au-delà du parti-pris symphonique, c’est cette force singulière émergeant de cette imposante pièce baroque, tout à la fois fébrile et colossale. Cette mission, trop grande pour un seul homme, nous séduit bel et bien. A tel point qu’Islands ne laisse planer aucun doute sur la pureté de ses intentions (écouter “To a Bond” et ses arrangements chevaleresques où Ryan Hadlock se livre sans armure).

D’où cette urgence d’annoncer d’emblée la couleur, dès la pièce-montée “The Arm” où Diamonds joue à l’apprenti-sorcier dans la scène des balais envoûtés : les violons suivent à la baguette (magique) la chorégraphie sciemment déstabilisante du maestro montréalais. La section rythmique, elle, fait mine de trébucher sur le tempo dans un procédé machiavélique, pour se reprendre in extenso dans le but de provoquer une réaction en chaîne cataclysmique… Le séisme attendu se produit sur le morceau suivant, “Pieces of You”, single wagnérien qui place le groupe sur une intensité inconnue sur l’échelle de Richter. Islands s’est à l’instant même affranchi définitivement de son premier album pour passer à l’étape suivante. Le désir d’émancipation devient force motrice, le groupe enchaînant sans temps mort incursion synthétique (“Creeper”), bongos exotiques (l’insulaire “J’aime vous voire quitter”), pop naïve outrageusement soul (“In The Rushes”) ou encore un complexe puzzle progressif (“Vertigo (If It’s A Crime)”). Ceci n’étant que des exemples pris parmi tant d’autres.

Bien sûr, il serait malhonnête de taire quelques accointances avec la fratrie de Régine Chasagne et Win Butler (notamment sur le nerveux et flamboyant “Kids don’t Shit”). Disons que ce serait plutôt une compétition saine instaurée entre les deux groupes, Islands restant au demeurant le seul adversaire de taille à se mesurer avec eux (Qui d’autre, franchement ?). Reste que pour les fans de la première heure se posera probablement le même problème que pour Neon Bible : le caractère insubordonné qui faisait tout le sel de Return to the Sea se sera un peu évanoui. Pour d’autres – dont vous savez déjà votre serviteur acquis à leur cause – c’est une marque d’évolution légitime et salvatrice. Il en va ainsi des grands groupes.

– Le site d’Islands