Retour attendu d’un des secrets indie pop les mieux gardés des années 90. The Mabuses ou un incroyable fourre-tout virtuose, la pop cosmique à son firmament.


D’une autre galaxie. On ne peut trouver description plus juste pour qualifier la pop excentrique du géant Kim Fahy (et pas que par la taille). Cet esprit mabusien, instigateur avec son groupe de deux albums chez Rough Trade délicieusement barrés, The Mabuses en 1991 et The Melboune Method en 1994. Et puis après, plus rien, Fahy s’est subrepticement volatilisé. Un grand silence de quatorze ans. On le disait reconverti en musicien de session, un jour parait-il à New York avec Jesus & Mary Chain, l’autre à Londres avec Depeche Mode, et puis Los Angeles, Paris… Et plus la distance s’allongeait, plus la comète Mabuses, à la trajectoire aussi intrigante qu’éphémère, faisait l’objet d’un culte croissant sur le web lacté (surtout pour ceux qui ont gardé leurs vieux cahiers des Inrocks). Peu de traces pourtant officielles sur disque demeurent de cette escapade, à l’exception de celui de son ami JP Nataf [[Il sort également ces jours-ci dans les bacs I Want You des Wantones, album concept autour des chansons d’amour où Fahy collabore avec une fine équipe dont JP Nataf.]], pas si « Innocent » que ça, qui récupérera les talents de ce guitariste hors-norme à son compte solo. D’où la présence sur Mabused! du folk feutré “Sugarland”, chanson extirpée de l’album Plus de Sucre revisité ici dans la langue shakespearienne. Avec un peu plus de chlorophylle, évidemment.

Déjà que les deux premiers albums passaient pour des ovnis… il n’est guère étonnant que Mabused! , troisième disque donc en 17 ans de carrière – si je ne m(‘)abuse – s’inscrit à contre-courant des modes et de ce monde. Les années passent et la folie reste intacte. C’est un disque kaléidoscopique, qui traverse à vitesse grand V le XXe siècle pour piler sec en 2008. Songwriter génialement compulsif, Fahy y absorbe les genres sans retenue : psychédélisme anglais, musique classique, les années 30, la noisy pop, le blues, l’electro et des images – la littérature et le cinéma tiennent également une grande place. Dans sa marmite, il mélange le tout en pop dadaïste, assemblage semi-accidentel de styles et de formes improbables, prodigieusement harmonieuses. À ce titre, le visuel de l’album est lui aussi hautement référencé : un hommage personnalisé à Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, idiome pop par excellence et disque pionnier dans l’art du collage et des bruitages.

Avec ses guitares (overdrive) interstellaires, son ensemble de cordes et d’instruments à vent, et sans compter la montagne de samples hallucinants égrainés sur ces quatorze pistes, ce troisième opus est nettement plus étoffé que les productions parues au siècle précédent. On note même la présence « échantillonnée » de vieux bluesmen – Skip James, Charlie Patton, Blind Willie Johnson – sur “Mirth”, voire le spectre d’un Big band des années folles sur le coda “Destination”. Pour les initiés, les deux premières compositions seront paradoxalement les plus surprenantes car justement l’écriture n’a jamais été si concise – “Dark Star” et le très relevé “Seasider” à la sauce Pepper, tous deux en course pour la pop-song parfaite. Mais très vite les vieux réflexes reprennent le dessus et l’on bascule dans l’abstrait, avec des mélodies qui fusent, des bruitages d’archivistes, des bizarreries féériques. Comme “Tiger Lilies” ou “Garden Devil”, délires instrumentaux qui se situent entre une partition psychotique de Bernard Hermann et les contes musicaux de Sergueï Prokofiev. Il y aussi la sarabande “Havana” avec ses guitares piquées à Fidel Castro… Et puis toujours des instants pop gracieux, tels le champêtre “Glass Eyed Pitter Patter », l’exotique “Byayaba” (avec un haut-bois !). Ou bien “June”, incursion electro en droite provenance de la brumeuse Bristol, où là encore Fahy nous plante avec un pont doux et émerveillé comme lui seul sait le faire. A vrai dire, on ne voit que les Lilys, formation également du seul pygmalion Kurt Husley, capable d’une telle profusion pop débridée.

Mabused! est une symphonie populaire gargantuesque qui, hélas, s’avère quasi-impossible à retranscrire soniquement sur scène (le concert au Café de la Danse n’était clairement pas à la hauteur, malgré la présence d’un JP Nataf des plus enthousiastes). C’est le prix à payer pour une telle démesure, dirons-nous. Il reste que la pop n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle retire ses balises pour se perdre. Voilà pourquoi The Mabuses n’ont jamais été oubliés.

– Le site officiel