Retour en grâce de la subtile chanteuse américaine avec un deuxième album élégant et envoûté. Le noir lui va si bien.


Joan Wasser n’est pas à proprement parler une jeunette, puisqu’au moment de publier son premier album, le réjouissant Real Life (2006), elle avait déjà accompagné bon nombre de farfadets et autre mélodistes hors pair qu’il serait vain de rappeler ici, mettant à leur disposition tant sa guitare que son violon ou son piano. Mais de bons musiciens (excellente en ce qui la concerne) ne donnent pas forcément de bons auteurs-compositeurs. Joan Wasser, elle, fait carrément partie du gratin tant To Survive enchante du début à la fin.

C’est le piano qu’elle a choisi d’utiliser prioritairement sur ce second disque empreint de vague à l’âme. Pour un rendu exceptionnellement souple quand l’album possède une tonalité plutôt grave vu les circonstances personnelles et pénibles dans lesquelles il a été écrit (la lente agonie de sa propre mère). Ce fragile équilibre entre noirceur et charme, la belle Américaine l’assure en enveloppant ses chansons d’un voile satiné de premier choix, transcendant les compositions les plus tristes par sa voix, une voix pas forcément exceptionnelle, mais idéalement ronde et chaude, et dont elle maîtrise les moindres inflexions. To Survive est une réponse à Real Life : dans son premier album elle explorait les recoins de la soul intimiste mais généralement optimiste, juste mélancolique à l’occasion, quand dans To Survive on sent Joan Wasser infiniment triste mais d’une pudeur telle qu’elle ne désire aucun soutien. “To Be Lonely” et “To Survive” sont d’ailleurs des chansons jumelles bouleversantes, avec leur chant feutré, leur piano nocturne et leur texte si personnel. Pièces déchirantes quand les cordes viennent caresser les cheveux de la chanteuse en un geste désolé.

Ceci dit, la tristesse ne l’empêche pas de brusquer le rythme. Il aurait même été trop facile de coucher sur bandes dix ballades piano/voix, démonstration de force obligatoire. La brune charmeuse emprunte au contraire les chemins d’une soul crépusculaire, ourlant ses chansons de guitares elliptiques, invitant des choeurs chaleureux à l’accompagner, et parcourant même parfois avec entrain le côté droit de son clavier sur “Macpies”, quand elle ne l’abandonne pas carrément à son acolyte Bryce Goggin sur la très westcoast “Hard White Wall”. Un peu plus loin, c’est la bien nommée “Furious”, formidable mid-tempo qui fait la part belle au Wurlitzer et qui voit l’artiste les dents serrées et les épaules rentrées, terrassée par un piano abyssal cette fois.

En plus d’être une songwriter impériale, la chanteuse a un sens inné de l’accompagnement. Après Joseph Arthur ou Antony Hegarty sur Real Life qui avaient emmené leur univers dans un album qui se cherchait un peu, c’est autour du grand David Sylvian et de l’ami de toujours Rufus Wainwright de se joindre à la fête aujourd’hui. Mais cette fois, les invités de marque sont priés de se plier au désir de la dame. L’insatiable touche-à-tout anglais s’immisce sur “Honor Wishes”, cette valse mortifère qui ouvre l’album, de manière tellement discrète que l’on peine à le débusquer, ce qui ne gâche en rien l’impact incroyable de ce titre et démontre le pouvoir de conviction de Joan Wasser. Rufus Wainwright, lui, est convié à conclure To Survive sur “To America”, seul véritable rayon de soleil du disque; et quand sa voix entre en scène, nous vrillant l’échine comme à chacune de ses interventions, on ne peut s’empêcher de sourire, les barrages cèdent et le flot d’émotion jusque là contenue déborde en une explosion de cuivres et de tambour digne des meilleures pièces de l’Américain. Sauf qu’il s’agit bien d’un cadeau de Joan Wasser à Rufus Wainwright et non l’inverse.

On a pu lire ici et là que Joan As Police Woman cédait à la facilité avec un album de ballades. Les auteurs de ces lignes sont soit des monstres de mauvaise foi, soit des fainéants de première qui n’ont pas écouté To Survive. Voilà un disque nettement supérieur à son prédécesseur, tant dans l’émotion que dans la composition ou la production, un disque majeur d’une artiste en plein devenir. Une étoile était née, elle accède aujourd’hui au firmament.

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