Bardi Johannsson n’est plus vraiment sur terre depuis longtemps, à tel point qu’une galaxie lui est entièrement dédiée. Ghosts From The Past en est l’étoile la plus lumineuse et accessible à ce jour.


Pour avoir offert au monde Something Wrong (2003). Pour avoir imaginé Lady & Bird (2003) avec la précieuse Keren Ann. Pour avoir élaboré la BO délicate d’un film depuis longtemps perdu, Haxan (2006). Pour avoir tressé une pop évanescente et impalpable. Pour avoir porté la sensibilité masculine en étendard. Pour n’avoir jamais cédé aux chants des sirènes commerciales et médiatiques. Pour toutes ces raisons, on doit à Bardi Johannsson un respect immuable. Réinventant la beauté à chacune de ses sorties, l’Islandais est un doux génie qui ne conçoit la pop qu’au travers du prisme opalescent de la tendresse, peu importe que celle-ci soit moquée, bafouée ou négligée. Et ce n’est pas Ghosts From The Past qui nous fera mentir.

Pourtant, dès les premières mesures de “The World Is Grey”, on sent que le grand blond a éprouvé un besoin de se recentrer, de compacter et canaliser ses idées. La pop est aujourd’hui immédiate chez Bang Gang, du premier au dernier titre de ce nouvel effort. Plus “Find What You Get” que “In The Morning” pour évoquer deux titres phares et radicalement opposés de son précédent opus solo. Comprenez plus couplet/refrain que litanie. D’ailleurs, les quatre premiers titres de Ghosts From The Past sont franchement pop-rock, avec plus ou moins d’énergie, plus ou moins d’effets, classiques, voire simples, en regard du pedigree de l’elfe. Or, n’est pas Bang Gang n’importe quel popeux venu : derrière leur croûte catchy et/ou attrape-coeur se cachent de petits bijoux de compositions, avec leurs strates de guitares arachnéennes, leurs nappes vocales et leur paroles aux multiples sens. Bardi Johannsson semble plus régler un compte avec son passé, désirant s’affranchir d’une image (erronée) de cérébral, semblant chercher à (se) prouver qu’il est capable d’être aussi accueillant que le duo Air au mieux de sa forme (période 10 000 Hz Legend, 2001 déjà).

Passées ces évidences, Bardi Johannsson ne peut s’empêcher de faire du pur Bang Gang, notamment avec le long interlude musical “Lost In Wonderland” qui voit un piano jouer une poignée de notes claires sur une éruption de batterie, un amas de voix en perdition et des claviers en plein bug. Pour mieux annoncer la deuxième partie de l’album, beaucoup plus sombre.

Toujours sur des structures classiques, les ballades dont il a le secret s’égrènent, telle cette “Every Time I Look In Your Eyes” éclairée de sa voix cristalline et d’un piano avançant sur la pointe des pieds. Et quand la chanson titre fait son entrée, l’album atteint son apothéose : la mélodie entêtante et belle à pleurer montre un chanteur désemparé devant l’apparition d’un être chéri depuis longtemps disparu (physiquement ou pas) et ayant enfin l’occasion de lui avouer tout ce qu’il n’a pas eu le temps de lui confier avant son départ. Après une “Forever Now” modeste et touchante, Keren Ann entre évidemment en scène sur l’étrange “Don’t Feel Ashamed”, blues maladif et spatial qui donne à entendre les voix des deux complices s’emmêler dans une cacophonie relative mais volontairement désagréable, pour un rendu poisseux du meilleur effet. Enfin, après l’envolée de “You Won’t Get Out”, l’album s’achève sur “Stay Home”, appel au secours lancé dans le vide, comme un dernier soupir, le titre qu’Archive n’a jamais su faire en cinq albums.

S’il signe ici son album le plus conventionnel, Bardi Johannsson n’en demeure pas moins une énigme totale. Et c’est sous le masque de Bang Gang qu’il se plait le plus à l’alimenter. Dernier point : contre toute attente, malgré un son invariablement parfait, aucun de ses disques n’est produit par Nigel Godrich.

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