Dix ans après sa sortie, The Multiplication Table est réédité. Aucun ajout de morceaux à relever, tout juste l’enveloppe sonore a t-elle gagné en relief, le rendu des instruments se voyant de fait accru et mettant davantage en évidence les interventions incisives et libertaires de Matthew Shipp au piano, le toucher ferme et précis de Susie Ibarra à la batterie, le puissant doigté et les vibratos à l’archet de son fidèle complice William Parker. Une menue consolation ? Pas exactement. Quand on connaît l’intérêt que porte Shipp aux avancées sonores (Anti Pop vs. Matthew Shipp sorti en 2003 ou Optometry de DJ Spooky paru en 2002, deux exemples, mais pas des moindres, parmi tant d’autres), cette opération de remixage ne s’avère pas si anodine : elle accentue s’il le fallait le syncrétisme musical du pianiste, autant attiré par les percées du post-bop que les possibilités de montages rythmiques du hip-hop et des musiques électroniques. Si bien que The Multiplication Table, raisonnablement considéré à l’époque de sa parution comme un des meilleurs albums du musicien, fort d’une fraîcheur décuplée semble avoir été enregistré cette année. La formule basique du trio est quelque peu bousculée par cette capacité qu’a la formation à multiplier les angles d’attaque, misant sur des combinaisons harmoniques et tonales sans forcément avoir la garantie qu’elles seront gagnantes au final. Parfois un peu bavard, Matthieuw Shipp fait montre d’une impétuosité salutaire, capable de déconstruire dans l’instant des standards pour totalement se les réapproprier à l’aune d’une modernité qui ne saurait faire fi de la tradition (les accélérations/ruptures tous azimuts de “Autumn Leaves” et “Take the ‘A’ Train”). Ailleurs, rythmes et textures se combinent pour échafauder un incertain – mais justement fécond – langage des timbres (les “ZT” et le réalisme sonore époustouflant de la contrebasse sur « ZT3 », ou encore le morceau éponyme mettant en évidence la poésie instrumentale d’Ibarra qui use de cymbales et toms pour s’ouvrir un espace singulier). Dix ans après, toujours incontournable.

– Le site de Matthew Shipp
– Le site de Hatology