Un saxophone alto (Jean-Luc Guionnet) et une contrebasse (Benjamin Duboc), perdus dans la nuit, envoient des signaux acoustiques à qui veut bien les entendre. Chaque instrument trace autour de lui un périmètre où le danger guette, le silence manque à tout moment de l’emporter sur leur furtive présence. Expérience sensorielle pour le moins fascinante enregistrée en novembre 2005 par Jean-Yves Bernhard, dans l’atelier de Richard Morice à Paris, W explore au bord de l’audible des territoires musicaux insolites. Une seule et unique plage, étirée sur quarante minutes, qui creuse le temps, laisse agir les sons. Deux instruments, mais une multitude de possibles. Souffle heurté, tâtonnant, flottant, déchiré, intériorisé, sourd. Cordes suspendues, pincées, frottées, brutalisées, caressées, vrombissantes. De part et d’autre, en écho, une succession de griffures, fragiles et inquiétantes à la fois. Des masses sonores accidentées qui se fissurent, se dilatent, respirent, s’évident. Jean-Luc Guionnet et Benjamin Duboc donnent à écouter une musique hors-cadre qui fuit de tous côtés, se fond avec patience dans l’atmosphère chromatique déployée par chaque instrument. Une musique qui se fait lieu, qui se noie et s’ancre dans l’épaisseur de ce lieu, en sa profondeur et sa surface. Propagation d’un mystère, au rythme de deux sensibilités qui se font face, se guettent, s’interpellent ou se meuvent ensemble sans mot dire. Beauté de l’ineffable. Poésie sonore d’un espace tourmenté qui improvise ses courbes et ses recoins, ses plis et ses luttes intimes.

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