Passé à la postérité pour ses époustouflantes envolées électriques bucoliques, le gang des frères Kadane cède cette fois du terrain au piano. Transformation réussie.


Rendons à César ce qui lui appartient, quitte à le marteler encore une fois : on ne compte plus l’influence prédominante du duo d’orfèvres Matt et Bubba Kadane sur le paysage alternatif US. De Death Cab For Cutie à Wheat en passant par Pinback et quelques vassaux post-rock, tous ont une lourde dette envers ces (fr)héros très discrets. Nonobstant une reconnaissance publique modeste, The New Year, formation « culte » (le terme n’est pas galvaudé), a longtemps fui l’appel des sirènes du business, séances photos et journalistes compris. Ceci expliquant peut être cela. Reste une seule certitude, ceux qui se sont engouffrés dans la brèche de leurs singuliers arpèges n’en sont toujours pas revenus.

D’abord avec Bedhead, la fratrie d’Austin a contribué à dévier en souterrain le long fleuve tranquille du rock alternatif US au cours des années 90, le temps de trois albums fondateurs, What Fun Life Was (1993), Beheaded (1996) et Transaction de Novo (1998). En se détachant du consensus shoegazing/noisy alors en vigueur pour une mélancolie décélérée, un chant monocorde et des progressions d’accords claires et insoumises, Bedhead s’est approché de la mouvance slowcore, club select réunissant quelques grands frondeurs dépressifs comme les Red House Painter, Idaho ou Low, (sans oublier les défunts Codeine). Quinze années ont passé et force est d’admettre que la majorité de cette caste a survécu et porte bien ses rides. Même si parfois la répétition artistique guette chez Kozelek et les frères Kadane — il faut l’admettre –, le songwriting reste immaculé comme au premier jour, comme si ces garçons étaient incapables d’enregistrer quoi que ce soit d’indigne.

En atteste ce passionnant nouvel acte écrit avec The New Year depuis 2001, où officie notamment à leur côté le batteur Chris Brokaw (Come, Codeine) et le fidèle des fidèles Steve Albini, cinquième membre caché derrière la console d’enregistrement. Sans négliger la dernière recrue en date, le (co-)producteur Matthew Barnhart : dont l’apport n’est certainement pas innocent ici après son remarquable travail sur le dernier Shearwater, extraordinaire de lyrisme pianotant.
Après quatre ans de hiatus, The New Year amorce un virage risqué en rompant avec la suprématie des guitares. The End’s Not Near (2004) marquait déjà une volonté de se détacher de la tension binaire avec l’intervention d’un clavier sur quelques titres. Cette fois on dénombre une bonne moitié de la somme de l’album reposant sur les fondations des touches en épicéa noires et blanches. En bouleversant l’équilibre par la présence d’un proéminent piano en tant que nouveau facteur mélodique, l’identité si forte du groupe n’en souffre pourtant pas. Au contraire, les titres les plus marqués par cette nouvelle garde-robe, comme “The Company I Can Get”, “MMV” ou “Body and Soul”, se fondent naturellement dans l’alchimie et apportent des perspectives pop ouvertes à leur langage usuel. Pour autant, l’électricité anguleuse des Fender Jazzmaster et Telecaster ne prend pas la poussière, en témoignent quelques sidérantes pièces-montées monstrueuses de précision comme “Wages of Sleep”. Ou encore le frémissant “Folios”, pur comme une opale, qui tutoie sans réserve les classiques de l’acabit d’un “Plan B”. La symbiose guitare/piano, tant instrumentale qu’émotionnelle, est totale.

Après les sommets que sont The Newness Ends (2001) et The End Is Near (2004), ce troisième effort parvient à renouveler avec réussite la franchise des frères Kadane. D’ailleurs, le choix affirmé d’un album sans nom donne toute la mesure de leur assurance artistique. The New Year n’a pas changé, le temps glisse sur lui de manière insolente.

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