A l’écart des autoroutes balisées, Josephine Foster poursuit son ascension irréductible des cimes folk et s’impose, disque après disque, comme une des voix les plus désinvoltes et respectables apparues ces dernières années.


Nul doute que le folk, au fond jamais vraiment tombé en désuétude, connaît depuis une dizaine d’années un regain d’intérêt et n’en finit plus, chaque mois, voire semaine, de voir éclore de nouveaux talents prometteurs. Du moins le dit-on ici et là. Car, à y regarder de plus près, les musiciens vraiment dignes d’intérêt se comptent plutôt sur les doigts d’une seule main. Pour nombre de bons élèves rendant une copie sentant la naphtaline combien d’empêcheurs de tourner en rond peu soucieux de générer le concensus ? Pour, au hasard, une Alela Diane honnête mais un brin appliquée et convenue combien de poil à gratter du calibre de Josephine Foster ? Au plus près du folk, genre auquel on affilie désormais à peu près tout et n’importe quoi, mais aussi en débordant le champ familier de ses attributs sonores, l’Américaine, aujourd’hui complètement émancipée de la bande hippie à Devendra Banhart, bâtit loin de la tourmente médiatique une oeuvre parmi les plus singulières qui soit. Une farouche indépendance artistique qui fait d’elle une digne héritière d’icônes mésestimées et autrefois invendables comme Judee Sill ou Karen Dalton.

On avait ainsi laissé Josephine Foster, il y a deux ans, avec un envoûtant et décalé A Wolf in Sheep’s Clothing empreint de poésie lyrique allemande, la voici qui nous revient à présent avec un recueil de dix chansons originales et erratiques, enregistrées à Cádiz, en Espagne. Nonobstant cette délocalisation géographique, l’auditeur cherchera en vain une couleur flamenca marquée ou des tonalités latines récurrentes : le quatrième album de Josephine Foster, This Coming Gladness, respire par tous ses pores le folk originel (bien que l’intéressée décrive sa musique comme du « transcendental art-rock »), jusque dans ses accents austères volontiers baroques ou ses références discrètes à l’americana. Des morceaux comme “All I Wanted Was The Moon” et “Indelible Rainbows” laissent même deviner un horizon country affleurant. C’est dire si l’oeuvre de Josephine Foster, malgré ses chiches moyens, ambitionne de couvrir un large éventail de musiques. Des racines musicales qui sont en fait moins actualisées, ou réinventées, que revisitées sur un mode proprement anachronique. Domine en effet depuis le premier album All The Leaves Are Gone (2004) le sentiment d’un recul salutaire, comme une manière de retrait, une façon d’être là sans y être, d’enregistrer des traces sonores, de dessiner avec patience des empreintes musicales, hors du temps.

Ni nostalgie ou goût pour l’archaïsme dans la démarche de Josephine Foster : juste une façon très moderne s’il en est d’investir une temporalité qui n’est pas la sienne, un autre temps abordé avec distance et dont demeure seulement l’aura prégnante. Contrairement à la plupart de ses consoeurs et confrères folkeux, la musicienne ne convoque pas le passé choyé (la fin des années 1960, début 1970) pour en reproduire les principaux motifs, mais semble porter le deuil d’un temps perdu. Au culte pontifiant se substitue une musique de l’absence, une musique des absents, parfaitement rendue sur This Coming Gladness par les effets de réverbération et d’échos mourants, la présence de la guitare électrique brumeuse ou atonale de Victor Herrero, les balais caressant d’Alex Nielson ou la harpe cristalline et le piano famélique de Foster. Une temporalité biaisée ou fuyante perceptible jusqu’à cet hypothétique autoportrait figurant sur la couverture du disque, peint par la musicienne et peu ressemblant, comme si ce second degré manifeste signifiait déjà un impossible raccord temporel.

Parcimonie instrumentale, ascétisme mélodique, raffinement mystique de la langue et, surtout, prépondérance d’un chant clair, hors norme — insupportable pour les uns, sublime pour les autres — qui tutoie les cieux : sans doute les chansons de Josephine Foster participent-elles d’une forme de sacré (que l’on ne saurait confondre avec le religieux, bien que les textes y renvoient souvent). Indéniablement, la haute aspiration qui le gouverne, la solennité harmonique qui s’en dégage, l’absence d’introspection nombriliste et l’humanisme triomphant situent This Coming Gladness du côté des oeuvres spirituelles et somme toute universelles. L’épure se joue de tout superflu, la croyance en la musique transcende toute mise en avant narcissique. L’émotion et la beauté, partout présents et pourtant lointains, à l’instar de ces progressions tout en douceur rentrée qui laissent par moment éclater quelques stridences électriques dissonantes, peuvent dès lors se répandre et finissent de rendre ô combien indispensable ce splendide album.

– La page MySpace de Josephine Foster

– Lire à propos de Josephine Foster :
* Gorges profondes (novembre 2006)
* Sélection d’albums de folk en import (décembre 2005)