Exit, troisième pièce de l’orfèvre pop bricolo-pointilliste Shugo Tokumaru, bénéficiera tôt ou tard d’une distribution digne de ce nom. L’occasion de découvrir l’oeuvre la plus aboutie et enthousiasmante du Japonais à ce jour. Un joyeux bordel au pays de Candy.


Le mirifique L.S.T. — une traduction possible : « Listeners in the Sky with Tokumaru » — et sa comptine débraillée et enchanteresse “Mist” avaient frappé quelques esprits chanceux il y a deux ans. Ce dernier privilégiait les atmosphères et les digressions sans queue ni tête. Avec deux queues ou deux têtes, au moins, pour dire vrai. Sur Exit, le multi-instrumentiste japonais ne fait pas fi du passé et en profite pour décocher quelques minuscules flèches « couplet-refrain » qui atteignent souvent leur but. En plein coeur — le scientifique poéticide préfèrera parler d’un dialogue entre cerveaux reptilien, émotionnel et logique qui aboutit à l’émission massive de neurotransmetteurs.

Le diapré “Parachute”, à la rythmique « sommier incertain », annonce d’emblée la couleur. Tokumaru y semble désireux d’en découdre et d’imposer ses « bri-collages » sonores à l’auditeur. Soit dit en passant, le yokozuna Musashimaru peut commencer à trembler. Il s’en dégage une simplicité et une légèreté déconcertantes malgré une recherche sur les textures manifeste — utilisation d’instruments jouets, bruits étranges, etc. Arrive ensuite “Green Rain”, micro-tube en puissance qui pourrait provoquer chez certains un feu d’artifice crânien de type « Principe du plaisir » de Magritte. Structure pop classique, mécanique doublement implacable et refrain imparable. On imagine soudain « l’Enfer » de Bosch s’animer. Et chose inattendue, l’engeance de fraterniser et de se mettre à danser. Une sorte de pendant jovial au non moins détonant “Bullets” de Tunng.
L’intensité ne décroît pas avec “Clocca”, structurellement plus original. Le musicien japonais revient à ses menues digressions chéries. Le titre repose sur plusieurs phrases musicales qui défilent l’une après l’autre puis viennent petit à petit s’entremêler. Sur la fin, l’inter-pénétration devient irrésistiblement morveuse. Ça colle littéralement aux oreilles. “Future Umbrella”, instrumental enfantin, nous conduit allégrement au Tokumaru version Beatles de “Button”. Chanson immédiate dont le refrain outrageusement pop pourra au premier abord apparaître un tantinet lénifiant. Mais au fur et à mesure qu’elle avance, elle développe ses motifs, déploie de petites ailes insoupçonnées et finit par emporter l’adhésion. Les légères variations sur les couplets confèrent une nouvelle dimension à son refrain « fraise Tagada ». La jeunesse de France en redemande !
Un peu plus loin, “Sanganichi”, ballade à l’atmosphère bucolique, prône l’immobilisme formel et invite à une espèce de déjeuner sur l’herbe bienvenu. Comme une respiration nécessaire après une première partie de disque haletante et avant le cyclothymique “D.P.O.”. A peine sur le coin de verdure, hors de son milieu, l’« Otaku Dépressif Pathologique » (une traduction possible) trépigne puis se calme quelques secondes avant de repartir de plus belle. On découvre ici un Tokumaru sans pitié pour ses créatures. Le plus serein “Hidamari” tisse patiemment sa toile quatre minutes durant. Le tunnel central, empli d’éther, crée un contraste intéressant qui rend le thème principal un peu plus entêtant.
L’ample et onirique “La La Radio” constituera sans doute pour beaucoup le climax de cet Exit petit à petit addictif. Un début apaisé puis, au bout de trois minutes, une montée en puissance progressive avant un finale dépaysant de toute beauté, l’apothéose d’une véritable symphonie de poche. On pressent que, les schèmes de reconnaissance totalement en place — le fameux devenir-réactif des forces actives -, elle et “Green Rain” auront encore quelque chose à nous dire. L’instrumental country “Wedding” clôt l’album de façon idoine. L’allégresse est toujours présente mais la nostalgie commence déjà à nous bercer d’illusions rétrospectives.

Exit se révèle assez complexe sur le plan des structures et des textures sonores et, paradoxalement ou non, est reçu par l’auditeur comme relativement simple. D’aucuns pourraient d’ailleurs lui intenter un procès en superficialité. Ce qui n’est pas nécessairement un jugement négatif. L’ami allemand de la sagesse et son auguste moustache ne disait-il pas de certains Grecs qu’ils étaient superficiels par profondeur ? Face au néant dont nous provenons et vers lequel nous courons, certains artistes seront poussés plus ou moins naturellement vers la recherche de formes éventuellement vectrices de passions joyeuses. Pour en revenir à la notion de simplicité, moins connotée, il faut du temps à un artiste pour trouver la forme la mieux à même de dire ce qu’il veut dire. Contrairement à Pablo l’Andalou, certains passeront parfois toute leur vie à chercher. Le génie japonais, s’il existe, réside peut-être dans une épure progressive, une simplicité enfin domestiquée qui porte en elle tous les travaux préparatoires d’un artiste et nous signifie l’essentiel. En tout cas, le frêle Shugo Tokumaru semble engagé sur une voie royale. Jamais la simplicité et l’impact en réception n’ont en effet été aussi grands. Exit, meilleure porte d’entrée dans son univers, dégage une beauté étrange, plus mécanique que charnelle, et rend, par instants, bêtement joyeux.

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– Lire également le chronique de LST (2006)