Le Buena Vista Social Club (1997), derrière son casting fabuleux et son histoire non moins époustouflante, demeure à ce jour le disque world (horrible raccourci, convenons-en) le plus vendu au monde. Et ce n’est pas un marketing bien rôdé qui a permis un tel exploit mais son simple contenu. Cet extraordinaire album donne à entendre des standards cubains joués par d’anciennes stars insulaires. Mais ce que l’on a un peu oublié, c’est que le sommet de cette fable est sans conteste ce concert donné en 1998 au mythique Carnegie Hall de New-York (soit à peine un an après la sortie du disque), l’un des rares qui réunissait d’ailleurs la totalité des musiciens. Outre pour les chansons, naturellement renversantes en live, cet évènement fut symbolique à plus d’un titre : les Américains flanchaient d’amour pour une musique qui représentait jusque-là l’ennemi intime de l’époque (on est avant le 11/09/01), et mieux, les musiciens eux-mêmes n’avaient pour la plupart jamais connu des USA que les clichés castristes et les colonnes de Cadillac vermoulues qui hantent les rues de la Havane. Autant dire que l’émotion est à son paroxysme en réentendant ces magiciens. L’immense chanteur et guitariste Eliades Ochoa, le sémillant chanteur Pio Leyva, le trompettiste décisif Manuel « Guajiro » Mirabal. Et surtout les cinq vieillards devenus depuis des stars internationales incontestables, le délirant contrebassiste Orlando « Cachaito » Lopez, el capo di capi Compay Segundo, l’émouvant Ibrahim Ferrer, le génial Rubén Gonzalez (s’il fallait n’en retenir qu’un), et bien sûr, seule survivante aujourd’hui de cette étoile à cinq branches, la délicieuse Omara Portuondo. Ce disque est donc l’ultime témoignage, non pas seulement d’une aventure hors du commun à bien des égards pour des artistes qui ne demandaient rien, habitués à courber l’échine avec le sourire, mais aussi de la résurrection définitive d’une musique populaire, magistrale, inaltérable, et pour toujours conquérante du monde derrière son modeste message d’amour.

– Le site de World Circuit