Alors que leur second album est quasi terminé et que les labels leur font la cour, les trois plus puissants fossoyeurs noisy rock de la Big Apple étaient sur Paris le 12 novembre. Leur actualité : défendre leur premier album sorti sur le tard dans l’hexagone. Creusons un peu.


Jay Space nous tend une bière, nous sommes dans les loges exigües (ou plutôt le couloir à sens unique) de la salle du Nouveau Casino, deux heures avant un concert qui décapera nos esgourdes. Space, batteur et sosie défrisé de Russel Simins (Blues Explosion), porte le tee shirt d’un groupe spécialisé dans la reprise de Motörhead. Sa peau brillante atteste qu’il supporte plutôt bien les mélanges de spiritueux. Le bassiste gallois Jono MOFO, le plus âgé de la bande, est quant à lui consterné par les bruits provenant de la salle : la première partie est visiblement en train de torturer le micro-chant sur la scène… Le manager nous rejoint, il vient de quitter une équipe TV de journalistes. Pas vraiment content, Oliver Ackermann répond complètement à côté de la plaque aux questions. A les entendre, le leader serait un peu timbré, un cousin pas très éloigné d’Anton Newcombe, proche ami d’ailleurs de cet assourdissant trio new-yorkais. Heureusement, la rencontre s’est plutôt bien passée pour nous, quelques minutes auparavant…

Pinkushion : Un nom pareil entretient le mystère autour du groupe.

Oliver Ackermann (chant, guitare) : Notre ancien batteur était très fasciné par Aleister Crowley (ndlr : écrivain et occultiste britannique de la fin du XIXe siècle, ayant influencé pas mal de rockers) et par tout ce qui tourne autour de Dieu. Le nom est emprunté à l’un de ses poèmes intitulé… Aceldama ? C’est ça ?

Jono MOFO (basse) : Oui, je pense que c’est un vieux mot hébreu tiré de la bible. Pour résumer dans les grandes lignes, après que Judas se soit donné la mort, il restait sur lui trente pièces d’argent. Ils utilisèrent alors l’argent pour acheter un endroit afin d’enterrer les étrangers (A Place To Bury Strangers). Crowley s’en est inspiré pour écrire son poème.

Comment le groupe s’est formé ?

Oliver Ackermann : J’ai toujours éprouvé le besoin d’écrire de la musique. Je vivais en Virginie, puis lorsque j’ai déménagé à New York, ce fut comme une sorte de continuation naturelle. J’ai commencé à jouer dans différents groupes en ville, ce qui m’a permis de rencontrer beaucoup de gens. A l’époque, je jouais avec deux autres musiciens dans un groupe qui s’appelait Skywave, Jono et Jay étaient déjà membres d’un autre groupe qui lui s’appelait Mofo. Et puis Tim et Justin, les deux anciens membres, ont décidé de quitter le groupe, l’un est parti en Californie, l’autre s’est marié, voulait un bébé… Jono et Jay étaient la section rythmique d’un de ces projets que nous avions en commun. C’est ainsi que je les ai naturellement récupérés.

Malgré les changements de line up, le groupe a toujours évolué en trio ?

Durant deux petites semaines, nous avons été un quatuor, avec une seconde guitare. C’était il y a bien longtemps, maintenant.

Vous avez la réputation d’être actuellement le groupe le plus puissant de New York. Le titre est-il lourd à porter pour vous ?

Jono MOFO : Quelqu’un qui a assisté à l’un de nos concerts a écrit un papier dessus. L’article était très bien écrit, on a décidé d’en utiliser un paragraphe pour l’envoyer aux journalistes. Après cela, tout le monde a commencé à écrire « The Loudest band in New York », la chose s’est amplifiée à tel point que c’en est devenu stupide. Non pas que je déteste les groupes puissants — j’aime la « Loud Music » — mais l’idée d’être plus fort qu’un autre groupe, ça ne signifie rien.

Oliver Ackermann : Cela n’a rien à voir avec le fait d’avoir beaucoup d’argent ou un nom de plus en plus gros.

Cette réputation peut aussi porter préjudice au groupe, le public pourrait avoir peur de se rendre à vos concerts ? (rires)

Oliver Ackermann : Parfois, je pense que c’est bien probable (rires).

Vous avez joué au festival les Eurockéennes cet été. En gardez-vous un bon souvenir ?

Jono MOFO : Oui, ce fut énorme. Très belle ville avec son lac, l’équipe était très sympa sur place. Il a commencé à pleuvoir le jour où nous sommes partis, je ne sais pas comment c’était pour le dernier jour, mais on a vu Nick Cave, Comets on Fire et ce groupe de metal brésilien… Cavalera Conspiracy. J’aimerais beaucoup y rejouer.

Oliver Ackermann : Massive Attack était aussi à l’affiche. C’est l’avantage des festivals, avoir la chance de voir tous ces groupes énormes.

Oliver, tu fabriques également des pédales d’effet pour guitare, Death By Audio, que tu vends à d’autres groupes. Est-ce que le fait d’avoir ton propre groupe ne serait pas un terrain d’expérimentation pour tes petits jouets ?

Oliver Ackermann : Absolument. Grâce à mon atelier, Death By Audio, nous pouvons contrôler le son que nous utilisons et que nous fabriquons. A mesure que le groupe progresse, nous pouvons changer constamment notre son. J’adore ça, et je gagne d’abord ma vie ainsi. J’ai commencé à customiser des pédales en 2001, et je suis toujours très étonné et heureux de la tournure que prennent les choses. J’ai eu la chance de pouvoir travailler avec des grands groupes, c’est vraiment très cool.

Quel genre de pédales d’effets crées-tu ?

Oh ! Différentes sortes. Je customise des effets spécifiques, des idées que des musiciens ont en tête, et j’essaie des les recréer pour eux. Je peux reproduire n’importe quel son. J’ai fait des pédales pour U2, Lighting Bolt, Wilco, Nine Inch Nails…

Et est-ce que tu essaies parfois de piquer leurs effets ?

Oui, j’essaie de copier U2 (rires).

De gauche à droite : Oliver Ackermann, Jay Space, Jono MOFO


Dans la mouvance new yorkaise, j’ai l’impression que vous n’appartenez à aucune scène spécifique. Ou peut-être Asobi Seksu en terme de guitares shoegazing.

Oui, il y a quelques fortes similitudes avec Asobi Seksu, mais cela reste toujours très différent de ce que nous faisons. D’autres groupes excellents de Brooklyn comme The Vandelles ou My Best Fiend, font des choses assez proches, mais en définitive chacun parvient à se démarquer. Actuellement, il commence à émerger de la ville une sorte de mouvement no wave. Ce n’est pas seulement une affaire de « bruit extrême », chacun à sa propre identité.

Et que penses-tu d’Interpol et TV On The Radio ?

Nous connaissons certains membres de ces groupes, nous avons des amis en communs. Mais je ne me sens pas vraiment proche musicalement de ces groupes-là, même si je peux voir quelques connections. Nous vivons à New York, il y a des millions de gens et autant de groupes dans cette ville.

Jay Space (batterie) : C’est très dur de sortir du lot, tu dois vraiment travailler dur, parce que la compétition est rude. C’est dur parce que c’est bon, et c’est bon parce que c’est dur. Ça doit être probablement pareil pour un groupe parisien, comparé au reste de la France, non ?

Oui, tout comme dans des grandes villes du monde comme Londres. Mais c’est probablement plus facile pour un groupe de signer sur Paris que dans un bled paumé. Revenons à nos moutons. Le premier pressage de l’album avait seulement été tiré à 500 exemplaires sur un micro label. Et puis Pitchforkmedia a fait une critique élogieuse de l’album et vous a ouvert à une plus large audience ainsi qu’un deal avec une maison de disque. Que pensez-vous de l’influence de Pitchforkmedia ?

Oliver Ackermann : Ce fut une excellente opportunité pour nous. Ces gens ont une opinion très forte et se moquent de se que pensent les autres. Comparé à des magazines comme Rolling Stone ou le NME — où tu ne peux pas avoir une bonne chronique d’album si tu n’as pas beaucoup d’argent ou de relations — les gars de Pitchfork parlent juste des disques qu’ils aiment, parce qu’ils pensent que c’est juste. Sans plan de marketing, ils peuvent exposer un petit groupe et le rendre populaire, plutôt qu’un autre sorti d’une major. Ils offrent une chance à des groupes qui n’ont pas d’argent, ils font ça pour de bonnes raisons.

C’est plutôt une bonne chose en effet. Mais il vaut mieux être apprécié par eux que subir leurs mauvaises critiques. Plusieurs groupes dits « alternatifs » en ont fait les frais.

Jono MOFO : Effectivement, mais cela pourrait être le cas pour n’importe quoi d’autre. Pitchfork apprécie ta musique, peu importe d’où tu viens. Nous étions sur le plus petit label qui soit. Ce n’était même pas vraiment un label puisque nous étions les seuls signés dessus. Des gars ont sortis notre CD et quelqu’un chez Pitchfork est simplement tombé dessus, rien à voir avec une grosse campagne de promotion.

Jay Space : C’est une très bonne chose que de se voir offrir une alternative à ces jeunes groupes qui sont signés sur major dont personne n’a entendu parler avant, et puis leur album sort et tout d’un coup tu as quatre pages sur eux dans les journaux. Pour nous qui partons de rien, être reconnu simplement pour ce que nous sommes, c’est flatteur. Et puis j’ai aussi lu des mauvaises chroniques sur Pitchfork de groupes que j’aime, et ça ne m’a pas empêché d’aller acheter leurs albums et d’aller aux concerts.

Je ne suis pas sûr qu’une critique d’album aide à vendre des disques de toute manière, sinon ça se saurait !

Jono MOFO : Bien sûr que non, cela aide à faire parler du groupe. Si la chronique est bonne, tant mieux, et si la chronique n’est pas bonne, ce n’est pas forcément du temps perdu car on aura parlé de toi.

L’édition européenne du disque est différente de la version US sortie il y a un an, où s’y est greffé un troisième EP.

Jono MOFO : Notre album rassemble tous les EPs vendus et une partie de morceaux gravés sur des CD-Rs avec nos propres moyens. Il retrace en quelque notre parcours à travers les trois EPs que nous avons sortis. Mais pas toutes nos chansons figurent sur l’album, il reste encore des compositions qui ne sont jamais sorties datant de nos CD-Rs. L’un de nos EPs d’ailleurs n’est jamais vraiment sorti (ndlr : disponible seulement en téléchargement gratuit). On ne fait rien de manière conventionnelle.

Vous enregistrez tout vous-mêmes ?

Oliver Ackermann : On contrôle tout. L’endroit où je vis ressemble à un entrepôt, et nous y avons construit une sorte d’espace de répétition qui fait également office de studio d’enregistrement. C’est là que nous avons pratiquement tout enregistré — quelques trucs ont été enregistrés dans d’autres endroits où je vis.

Etes-vous des inconditionnels de Pro-Tool (logiciel très utilisé par les musiciens pour enregistrer leur musique) ?

Non. Quelques chansons ont été enregistrées sur un huit-pistes à cassette, d’autres sur Q-Base. En général, on utilise des programmes qui permettent de travailler sans trop se prendre la tête.

Quand on écoute votre album, certaines influences relèvent de l’évidence, comme Jesus & Mary Chains, My Bloody Valentine… On lit forcément beaucoup ces noms dans les chroniques, mais finalement assez peu mettent en lumière les incursions électroniques, qui ont une place tout de même importante.

Il y a beaucoup d’influences dans nos disques, la musique électronique, industrielle, gothique, no wave, même new wave…

Jono MOFO : ….old wave, surf music. (rires)

Oliver Ackermann : Exactement. Rock’n’roll, punk-rock… tous ces éléments se fondent. Nous n’essayons pas de faire comme une sorte d’« exercice de style ». On écrit une musique qui est pure, qui vient du coeur.

Et pour le prochain album, comptez-vous bouleverser vos habitudes d’enregistrement, dans un vrai studio ?

Oliver Ackermann : Non, on aime travailler ainsi, par nos propres moyens.

Jono MOFO : Mais nous avons un vrai studio d’enregistrement, c’est juste que le lieu est moins grand et cher. C’est comme un petit studio merdique.

Oliver Ackermann : Ce n’est pas tout à fait vrai (rires). Nous pourrions solliciter l’aide d’un ou deux amis pour produire certaines pistes. Peut-être rendre la chose un peu plus dansante, un peu meilleure. Parfois, il est bon d’avoir un avis extérieur pour avancer. Mais l’esprit du premier album sera toujours là, mais en mieux. (rires).

Vous avez jouez en première partie de grosses machines comme Nine Inch Nails, Black Rebel Motorcycle Club. Quelle expérience tirez-vous de ces grandes scènes ?

Jono MOFO : N’importe quel endroit où tu joues, que ce soit avec le groupe ou le lieu, chaque concert est différent. Il faut apprendre à s’adapter. Avec BRMC, nous avons joué dans des salles plus grandes, loin de New York. Etre sur la route, c’était aussi quelque chose de totalement nouveau. Et puis tourner avec Nine Inch Nails nous a propulsés à un niveau encore supérieur, on jouait la plupart du temps dans des arènes. La première fois qu’on est montés sur une scène gigantesque, ce fut vraiment une expérience étrange. Donc, oui, tu apprends à chaque nouvelle expérience.

Enfin, un dernière question : Vos cinq albums favoris ?

Oliver Ackermann :

Cobraspa – Members Only

The Cure – Three Imaginary Boys

The Vaselines – Best Of

The Pastels – Sittin’ Pretty

The Beatles – Revolver

Jono MOFO :

Sex Pistols – Nevermind The Bollocks

Beatles – Revolver

Pink Floyd – The Piper At The Gates of Dawn

Beach Boys – Pet Sounds

Dandy Warhols – Dandys Rules Ok ?

Jay Space :

Ride – Nowhere

MBV – Loveless

BJM – Take It From The Man!

Pink Floyd – The Piper At The Gates of Dawn

Medicine – Shot Forth Self Living

– Le site officiel

– Lire également la chronique de l’album