Ce quatuor relance l’éternel débat entre le verre à moitié vide ou à moitié plein. De ces albums dont on ne sait trop que faire et qui pourtant finissent par nous toucher par leur maladresse.


Deux albums en seulement un semestre, les Bodies Of Water ne sont pas avares. Et cela se ressent dans leur musique. Dès leur premier album, le remarqué Ears Will Pop and Eyes Will Blink, il était fait état d’un appétit gargantuesque pour un rock emphatique, mélangeant les genres et les époques sans craindre l’indigestion. Rebelote sur A Certain Feeling. Avec toujours l’emphase maîtrisée d’Arcade Fire en ligne de mire, les californiens se jettent à corps perdu sur leurs instruments, leurs micros et leurs cordes vocales. Mais un détail de taille leur a échappé chez les Canadiens : Win, Régine et les autres mettent d’abord l’accent sur le fond de leurs chansons, expérimentant ensuite toutes sortes d’instrumentations qui colleront au mieux à leurs idées folles. David Metealf et ses comparses prennent la voie radicalement contraire. Et patinent régulièrement dans la semoule.

Les quatre résidents de Highland Park ont un goût assumé pour le glam rock et visent à le diluer dans les recoins les plus obscurs de leur musique. Fourmillant de références en la matière, piochant aussi allègrement dans un prog-rock un peu usé du siège, ils balancent leurs plans de grattes à fond de cale et semblent se demander ensuite si une mélodie, une harmonie ou tout simplement des paroles peuvent y entrer, même au chausse-pied. Alors si tout cela existe déjà ailleurs, inutile de s’en priver : “Under The Pines”, après son intro digne de Van Halen est même tellement proche de “No Cars Go” que ça en devient inquiétant pour leur identité. On s’arrêtera là quant aux comparaisons avec la clique de Montréal tant elles desserviraient le couple Metealf et leurs deux acolytes.
D’autant que malgré cette tendance un peu facile à la surenchère, il faut leur reconnaître une certaine maîtrise de l’effervescence, une propension à l’exutoire assez stimulante, tant et si bien que l’énergie qu’ils développent à interpréter leurs chansons globalement faibles les rend sympathiques. La mini-chorale de “Water Here”, la tumultueuse et très bowienne “If I Were a Bell” — et son interminable finale, assez génial –, ou même la rythmique crescendo mille fois entendue de “God, Tan, Peach and Grey”, soit quelques ingrédients qui attestent que les quat’z’amis n’ont pas pleinement conscience de s’insinuer à ce point dans les pas de bien plus grands, bien plus forts qu’eux. Après tout, quel mal y aurait-il à vouloir ressembler à des modèles, aussi énormes soient-ils ?

C’est en réduisant l’intensité que les Bodies Of Water réhaussent leur propre niveau, usant avec une élégance un brin pataude du mariage de l’orgue et des six cordes électriques sur “Keep Me On”. Ou même flirtant maladroitement avec une certaine idée du jazz tel que digéré par le Velvet Underground, défi dangereux quasi réussi au début de “Evin in a Cave”, grâce à la voix enfin posée de Meredith Metealf qui n’est pas sans rappeler les débuts de la furieuse PJ Harvey — avant de sombrer dans un salmigondis incompréhensible de cuivres aussi finauds que ceux d’Emir Kusturica aux commandes de son No Smoking Orchestra.
En outre, il se dégage de ce disque, malgré ce sentiment permanent de pâle copie, une sincérité et une volonté d’en découdre qui les situerait plus facilement du côté de la scène canadienne que sous le soleil californien. Leur musique est de celles faites pour lutter contre des températures inhumainement basses, pas pour se désaltérer les pieds dans l’Océan Pacifique. En quelque sorte, une boisson qui en a le goût et la couleur sans en être, et qui évoque le pays des caribous, ça ne vous rappelle rien ?

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