Quand le chanteur de Minus Story fait l’école buissonnière. Un disque solo inespéré et étonnamment aérien.


Minus Story est un spectre, pierre philosophale du rock indé débraillé à lui-seul, un groupe d’amis intimes fans de Nintendo et livrant des disques désespérés. Jordan Geiger et ses accolytes se posent là au moment de faire passer un sale quart d’heure à la notion de beauté. Car si les disques de Minus Story sont tous noirs à en crever, ils sont aussi incontestablement beaux. Ne serait-ce que les deux derniers en date. No Rest For Ghosts (2005) est l’anti-Midlake par excellence, un disque bardé d’épines aux guitares acoustiques étranglées mais magnifié par des mélodies impériales et des arrangements à couper le souffle, le tout juché sur le cadavre fumant d’un piano droit. Puis il y eut récemment My Ion Truss, boulet de canon difforme lancé dans un lac d’huile bouillante et dont les chansons, devenues tératophages d’avoir été éclaboussées, continuent de hanter ceux qui s’y sont frottés. Ne reste de cette oeuvre qu’un amas de débris, un fratras de résidus d’instruments gisant la gueule ouverte dans une boue radioactive. Seul fil rouge de cette musique spectrale, la voix diaphane et fragile du leader, le déroutant Jordan Geiger. Et lui de ramasser les restes, de convoquer quelques complices le temps de les déguiser en ambulanciers pour porter toutes ces victimes qui auraient rendu leur dernière note dans son Hospital Ships. Et de leur faire subir la plus douce des thérapies.

On se doutait bien que derrière ce souffle asmathique, ce tremblement émouvant, parfois même lacrymal, et sous ce masque de rocker dépressif se cachait un grand enfant au romantisme contrit, un épidermique qui ne demandait qu’un rayon de soleil pour laisser éclore sa sensibilité toute nue. Il n’en fallait pas plus qu’une courte pause de Minus Story pour que Geiger tricote des petits bouts de chansons comme autant de pièces d’une ribambelle aux couleurs pastel. Et d’offrir Oh, Ramona, cet album solaire et lunaire et moutonneux et neigeux et soyeux, bref tout ce qui caractérise l’univers de contes d’enfants. Mais d’enfants qui viendraient à peine de quitter une chambre stérile.
Oh, Ramona irradie tout au long de ses quatorze titres, se juche en haut du monde détruit et fait des grimaces aux oiseaux furetant ici et là, en quête d’une nourriture devenue trop rare. De l’évidence radiophonique de “Bitter Radio Single” à la joie toute bête de “The Shots I Drank”, en passant par l’irrésistible charme évanescent de “Mockingbird”, le songwriter plane, ne touche jamais vraiment le sol, et exprime de manière malhabile son envie d’aimer, de boire des coups et d’être encore jeune. A la rugosité maltraitée de son groupe, le songwriter oppose, seul, une grande bouffée d’air pur. Et ce ne sont pas les instruments désaccordés usités ici qui apporteront la fausse note attendue tant il a su tailler des mélodies qui résisteraient au givre le plus impénétrable.

Convoquant cuivres et cordes perdues, entraînant parfois la batterie écervelée de Nick Christus ou le piano décharné de Lucas Oswald, épaulé par le désormais incontournable John Cougleton (soit trois des artisans du son Minus Story), Jordan Geiger prend un malin plaisir à tailler des croupes à Jason Lyttle de la grande époque de Grandaddy — celle de The Sophtware Slump (2000) –, troquant ses jeans élimés pour un accoutrement bariolé, bien que délavé. Mais l’homme qui a composé des merveilles comme “Hold On”, “Will I Be Fighting” ou “Mama Mama” n’est jamais très loin, et la tristesse morcelée de Minus Story se traduit ici en une mélancolie lourde à porter. Elle entâche par moment cette allégresse convalescente par le truchement de mélodies brisées ou de guitares hachurées — “More Than You Know”, “Tired of Growing Old” –, confére à l’ensemble du disque cette fragilité définitive qui nous dit que tout ceci pourrait bien s’arrêter aussi brutalement que c’est arrivé.

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– Le site de Graveface Records