Quand le psyché rock britannique de la fin des années 80 phagocyte l’alt-contry le plus bravache, ça fout le feu au corridor. Et n’imaginez même pas crever ce mur du son pour vous sauver.


L’Alabama n’est pas exactement connu pour son ouverture au monde et à l’autre. Pourtant, c’est bel et bien en sa capitale que ce jeune trio a découvert une musique radicalement opposée à ce que n’importe quel jeune américain, adolescent dans les années 90, aurait pu ingurgiter à grandes lampées d’ondes réfractaires aux courants en vigueur. C’est en effet en écoutant la radio que Matt Lambert, Titus Brown et Jim Crook, respectivement chanteur/guitariste, bassiste et batteur de All The Saints (à ne pas confondre avec les insupportables bimbos All Saints), ont découvert l’univers joyeusement débridé et irrévérencieux des gais lurons qu’étaient My Bloody Valentine, The Jesus And The Mary Chain ou Ride. Marqués au fer rouge par la violence sourde de ces musiques métalliques et saignantes, les trois malheureux, une fois leurs manches empoignés, se sont vus confrontés à un épineux dilemme : comment combiner leurs références intimes et leur culture logiquement imprégnée de folk, même le plus mal-embouché ? En gros, comment fondre Loveless dans l’énergie du Gun Club ? Ils y ont mis le temps, mais la réponse est là, cinglante, étirée sur les dix titres de Fire On Corridor X.

Débutant sur une guitare perdue dans les cordes d’un piano agonisant — “Shadow, Shadow”, ou la promesse d’une nuit cauchemardesque –, rien ne laisse présager du feu des enfers qui nous tombera dessus. Avec assez peu de moyens, “Sheffield” allume la torche et échauffe très sérieusement les esprits. La forge enfin avivée, il ne reste plus qu’à y plonger le métal des cordes et le bois des baguettes pour alimenter un foyer dont les flammes lèchent rapidement les cieux. Le ton est donné, il nous sera rarement offert l’occasion de respirer.
Ainsi, de brûlot en cocktail molotov, les trois pyromanes prennent un malin plaisir à jouer avec le feu. Il convient d’ailleurs, pour pleinement mesurer la force de l’incendie, de monter le volume à une puissance à la limite du soutenable. Quand leurs concitoyens Black Rebel Motorcycle Club se contentent de faire péter les étincelles de la bouche de leurs pots d’échappement, les All The Saints s’attaquent à la station service au lance-flamme et ne comptent pas y laisser beaucoup de survivants. Magnanimes — ou démoniaques, c’est selon –, ils poussent le vice jusqu’à laisser la trousse à “Farmacia” en évidence afin que les survivants pansent leur plaie. Mais à peine la Biafine ouverte, les voilà qui reviennent se régaler avec le sang de leurs innocentes victimes sur un “Regal Regalia” meurtrier, tout au long duquel ils assènent leur nom pour définitivement signer leur méfait.

Guitares lacérées, batterie martiale et basse louvoyante, les All The Saints ont élevé des drones et les lâchent dans une foule totalement paniquée, s’amusant de ce spectacle apocalyptique. Et des flammes de l’enfer qu’ils viennent de causer s’élèvent des images psychédéliques insupportables. Ces trois-là ont tout conservé de la puissance destructrice de leurs idoles, au point de donner à deux de leurs titres les noms des villes berceaux de cette musique luciferienne — “Sheffield”, et l’étonnamment folk “Leeds” que l’on jurerait chantée par leurs potes Black Lips –, sans pour autant renier leur terre d’origine. Car, contrairement à ce qu’a pu déverser la Perfide Albion dans la dernière décennie du siècle dernier, ce rock-là n’a pas abandonné les mélodies dans la lave. Et c’est ce souci d’écriture qui donne toute la perspective à une musique qui, en d’autres mains moins sérieuses, aurait vite fait de plonger dans la pâle copie. Au contraire, All The Saints cultive un sens certain de la chanson à texte, un goût pour le message qui, sous la houlette de l’ingénieux ingénieur Ben H. Allen (Animal Collective, Gnarls Barckley), se fond parfaitement dans ce mur du son (enflammé).
Manque toutefois à l’ensemble une patine, une braise qui aurait traversé les ans et qui aurait permis au trio d’aller au bout de ses idées. Ici et là la musique se perd dans un inachèvement dommageable, péché de jeunesse qui devrait bien vite s’effacer mais qui, sur ce premier effort, donne mauvaise haleine aux coupables d’avoir de temps en temps trop tiré la langue sous l’effort. Pour autant, si tous les premiers disques se contentaient de ce seul défaut au moment de s’attaquer à un rock sombre, exigeant et ployant sous l’ombre de ses géniteurs, nous serions les plus heureux des hommes. Car il n’arrive pas souvent d’entendre, dans un premier effort, des morceaux du calibre de “Fire On Corridor X”.

Méfions-nous, si ce disque en appelle d’autres, il nous faudra être prévoyants. Car au moment de conclure, n’oublions pas que, quelque part en Alabama, le feu couve.

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