Le quatrième album studio de Santa Cruz vient rappeler à notre bon souvenir cette évidence : c’est bel et bien à Rennes que réside un des meilleurs groupes d’americana en activité.


Sans nouvelles des membres de Santa Cruz depuis Long Gone Desire (2006) et l’album solo de Bruno Green (The Blue Void Trilogy, 2006), on commençait à imaginer le pire concernant cette discrète formation bretonne, pas tapageuse pour un sou. Les onze titres de A Beautiful Life (titre qui sonne comme un écho au It’s a Wonderful Life de Sparklehorse), quatrième album studio mixé à Portland par Tony Lash (Elliott Smith, Dandy Warhols) mais enregistré en France au studio « Le bas chemin » d’Erik Orthuon, viennent a point nommé nous rassurer quant à la bonne santé artistique du groupe. Dans la continuité de Long Gone Desire (c’est-à-dire sans en répéter avec paresse les principales inclinaisons artistiques, mais sans rompre non plus radicalement avec son esthétique), ce nouvel opus frise, dans sons genre, la perfection. Comme Giand Sand ou Lambchop (celui encore frais qui ne sentait pas l’amidon tel que sur l’apathique et indolent Oh (Ohio)), Santa Cruz cultive depuis ses débuts un songwriting artisanal, ancré dans une americana fantasmatique, qui va de pair avec une conception méticuleuse et réaliste du son. Car s’il est un domaine que le groupe se plait à penser dans ses moindres détails, c’est bien celui du son, qui a gagné sur ce dernier opus davantage en épaisseur et aspérités, ouvrant l’espace des chansons à de nouvelles vertus musicales.

D’emblée, cette patine sonore est exposée sur le morceau qui ouvre l’album, “Before the Rain” : une guitare électrique rugueuse donne ainsi le la en délivrant régulièrement quelques riffs épineux qui creusent un territoire imaginaire contrasté (sorte d’alt country psychédélique) et convoquent, notamment, la possibilité d’un horizon rock, situé plus près du plancher des vaches que du ciel étoilé. Des hauteurs volontiers oniriques qui ne sont pas délaissées pour autant sur d’autres morceaux où perce, au détour d’une pedal steel fuyante et de balais caressants, une poésie radieuse, voire bucolique, à peine voilée par quelques nuages électriques (“A Beautiful Life”, “Bad All Over”, “Rain Is Coming Harder”). A Beautiful Life oscille ainsi entre plusieurs humeurs et ambiances, souvent mêlées sur un même morceau mais qui agissent sur différents plans sonores, un peu comme si l’album témoignait de cet entre-deux météorologique répondant à l’adage bien connu du « après la pluie le beau temps ». Le bien nommé “The Last Rain” met par exemple en présence des sifflements espiègles sur fond de guitares menaçantes, “On The Loose” développe de son côté une architecture scindée en deux mouvements harmoniques sombre/léger et prend acte de la possibilité d’un basculement, d’une éclaircie après l’orage, d’une aube après la nuit. L’alternance des deux chanteurs participe également de ce sentiment d’états passagers qui prédomine à l’écoute de A Beautiful Life : ronde et chaude la voix de Pierre Vital-Gérard contraste avec celle, plus âpre et nasillarde, de Bruno Green.

Album des grands espaces, A Beautiful Life marque son territoire, résolument mouvant, d’ici et d’ailleurs, établissant la notion de frontière comme une donnée essentielle, sinon intrinsèque au déploiement de la musique jouée. À partir de chansons archétypales façonnées dans la poussière foulée par les pionniers de l’americana, Santa Cruz procède à toute une série de liftings et réappropriations qui donne à sa musique un côté à la fois rustique et profondément moderne. Se lit à travers cette conquête d’espaces débordants ou affleurants, situés bien au-delà d’une géographie déterminée (américaine pour le dire vite), le dessein de se projeter dans un univers musical identifiable, mais dont les contours seraient entièrement redéfinis à l’aune de la sensibilité du groupe. Quand beaucoup de musiciens européens s’essaient, rarement avec bonheur, à coller au plus près de leurs modèles avoués, Santa Cruz parvient à leur rendre hommage tout en prenant ses distances, à oeuvrer précisément à la frontière entre déférence et émancipation, entre l’impossibilité de passer de l’autre côté (de se substituer aux vénérables figures qui l’inspirent) et la possibilité d’affirmer une personnalité sans complexes. Sur A Beautiful Life, on ne compte pas les morceaux regorgeant d’idées d’arrangements, cohérentes sans être redondantes, déviantes sans être alambiquées, qui apportent un supplément inestimable de singularité à l’endroit où d’autres formations évoluant dans un registre musical similaire nous ennuient trop souvent. À sa manière — mais sans en faire — Santa Cruz taille dans les meilleurs matériaux (piano, rhodes, pedal steel, dobro, percussions, guitares, banjo, claviers) des mélodies magnifiquement charpentées (mention spéciale à celle de l’irrésistible “Pretty Orphans”) et, surtout, laisse une empreinte durable dans nos oreilles.

– Le site de Santa Cruz

– Leur page MySpace

– « Bunch of stars », morceau présent sur le premier album Welcome to the Red Barn, sorti en 2004 (vidéo réalisée par Jo River)