Revoilà le timide Emil Svanängen, sorti de sa forêt Sologne pour s’acheter en ville un kit d’électronicien. Mystère des branchements, ses folk songs sonnent intactes, les étoiles scintillent plus fort dans le ciel.


Comme souvent chez les songwriters de la pop (Eliott Smith, Ron Sexmith, The Smiths, Aerosmith… heu non…), tout a démarré dans une petite pièce à l’écart, isolée de tout. Pour le suédois Emil Svanängen, son histoire a encore plus de sens. Voilà six ans qu’il s’échine, en autarcie dans son petit meublé de Stockholm, à cuisiner de petites madeleines au goût d’érable. Quatre albums autroproduits sont sortis (de sa chambre) par son propre biais, et les deux derniers (Loney Noir et Sologne) sont parvenus à prendre le large du port de la capitale pour discrètement débarquer sur nos rives hexagonales en 2007 (distribution Differ-ant). Mais la bruyante sirène médiatique s’est entichée du phénomène et notre garçon tranquille a depuis signé sur une major en Europe. Lui qui n’en demandait certainement pas tant eu égard à ses modestes bricolages intimistes.

Sans doute commençait-il à se sentir à l’étroit entre ses quatre murs. Après quatre albums sous l’identité Loney, Dear, Emil Svanängen a désormais le syndrome « – M – » : pas de regrets, juste le désir de refermer ce chapitre, passer à autre chose. En guise de conclusion, Dear John se présente symboliquement comme on rédige les premiers mots d’une lettre dont la teneur serait intimiste. Le Suédois y peaufine son histoire, sauf que le cadre a un peu changé : la décoration donne une touche un peu plus moderne à ses boiseries. L’ambiance tamisée de coin de feu s’est embellie de quelques luminaires synthétiques.

Sans bousculer l’ordre établi, l’injonction d’éléments électroniques offre indiscutablement de nouvelles portes d’évasion à son univers folk en huis clos: traversées atmosphériques ténues et turbulences techno implosées convolent sans mal avec ses six-cordes en sourdine. Pourtant, lorsqu’on entend pour la première fois les échantillons de cordes majestueuses d’“Everything Turns to You”, on prend un peu peur : ses vulnérables harmonies charpentées supporteront-elles ce surpoids ? Une appréhension heureusement de courte durée, tant l’ensemble du disque se veut un exaucement de maîtrise et de juste mesure des ambiances. Comme en accuse l’impressionnant “Under Silent Sea”, plongée electro-folk sous-marine dans les abysses : mieux vaut ne pas remonter à la surface où se trame la tempête du siècle. Notons aussi sur “I Got Lost” l’intervention d’un autre petit génie solitaire, Andrew Bird, qui gratifie cette jolie madeleine éthérée de sublimes errances de violon. Comme un acharné, l’attachant Loney, Dear perfectionne sont art sur Dear John, quitte même à retravailler quelques thèmes déjà abordés sur ses albums précédents — “Airport Surroundings” fait figure de reprise évidente du lumineux “The City, The Airport” sur Sologne. De par l’ampleur de la tâche accomplit, il en ressort son oeuvre la plus foisonnante à ce jour.

En substance, la méthode svanangienne est toujours la même : ses courbes mélodiques donnent la sensation agréable de nous entraîner dans une spirale mélancolique. Il s’exerce sur ses chansons tournoyantes suffisamment de force centrifuge pour élever le songwriter vers des pics d’intensité progressifs généralement captivants. L’effet est d’autant plus saisissant sur scène, où renforcé d’un groupe, Lone(l)y Dear sait transcender son répertoire d’énergie rock (nous en fumes notamment la cible sur la scène parisienne de la Flèche d’Or). C’est peut-être actuellement ce qui fait défaut en studio à ce songwriter attachant, ce petit grain de folie glissé dans ses rouages parfois statiques, pour accéder à la première division.

Et l’avenir ? Nul doute que Dear John donne quelques indices quant aux aspirations libertaires futures d’Emil Svanängen. « So Hard to Change » chante-t-il sur la jolie mélopée tribale “Violent”, on le sent pourtant comme un poisson dans l’eau. Mais nous n’en sommes pas encore là. En attendant, dégustons l’instant présent.

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