Tirant son nom des meilleurs pages nécrologiques du rock sixties (« Obituaries »), les Obits déterrent l’urgence du garage rock avec vigueur et panache. Mortel.


Les épicuriens de la maison Sub Pop ont le flair pour dégoter de nouveaux groupes capables de susciter en nous de véritables fièvres d’idolâtrie extatique. A leur actif ces dernières années : la pop suprême de The Shins, les mutants rock canadiens de Wolf Parade, le vertige americana de Band Of Horses, ou encore la folk touffue d’Iron & Wine… Mais il manquait pour parfaire leur catalogue un groupe de garage rock digne de ce nom. Avec les new-yorkais magnifiques Obits, le label de Seattle tient sa perle rare. Mieux, il ne pouvait trouver meilleure pointure rock à leur pied.

Obits n’est pas un énième groupe en « The » fraîchement débarqué de la Grosse Pomme. Ce quatuor compte en son sein une véritable légende, le vétéran californien Rick Froberg, ex Drive Like Jehu, combo hardcore des années 90 qui n’avait rien à envier à Fugazi en matière de surtensions électriques impétueuses et expérimentations sonores. Froberg y partageait les guitares et le chant avec John Reis « Speedo » — qui connaitra plus tard un certain succès avec les furieux Rocket From The Crypt. Les vieux compères remettront les gants dans les années 2000 avec Hot Snakes, oscillant cette fois vers une formule plus « garage » des plus efficaces. L’aventure Hot Snakes terminée en 2005, Froberg émigre vers New York pour former un nouveau groupe mais ne daigne pas remonter immédiatement sur scène. Enclavé dans un local de répétition durant deux ans, Obits ne donne aucun signe de vie. Enfin, le premier concert est annoncé début 2008. Le succès est aussi foudroyant que disproportionné. Sur le Net, un enregistrement pirate de la fameuse performance circule et se charge de créer un buzz propre à convertir n’importe quel hadopiste aux vertus du téléchargement. Pour preuve, Sub Pop signera le groupe sans avoir écouté la moindre démo, sur la seule foi de ce disque non officiel. Le ton est donné.

Certes, les Obits n’inventent rien (refrain connu) mais ils ont tout compris. La stratégie sonique de ce quatuor séminal — deux guitares, une basse, une batterie — prend sa source chez les punks précoces des sixties : les héros Nuggets 13th Floor Elevators, les riffs génialement dégénérés de The Stooges et les boîtes de peinture psychédéliques du Pink Floyd de Syd Barrett. Pour les amateurs d’amplis à lampes fumant, la production se veut à ce titre un pur régal stéréophonique : guitare lead calée diamétralement à droite, rythmique de forcené foncièrement à gauche, un son réverbéré tout droit sorti d’“Astronomy Domine” et des duels de solos éclairs tirés aux cordeaux. Comme assise capitale, une section rythmique constamment en alerte qui ne fait pas de quartier — cela faisait longtemps qu’on n’avait pas entendu une basse pilonner de la sorte sur “Two-Headed Coin”, nom de Dieu ! Fougueux quarantenaire, Froberg se racle la gorge avec la ferveur d’un jeune Iguane qu’on étripe, lorsque ce ne sont pas les hormones en surproduction d’un Rory Erikson qu’il évoque. Les esthètes n’en croiront pas leurs oreilles.

L’ennuyeux dans l’actuel revival rock, c’est que beaucoup détiennent le son mais peu maîtrisent les chansons. Obits est bien évidemment pourri gâté par la nature puisqu’ils réunissent ces deux facteurs essentiels. Personne n’échappera à la première fronde, “Widow of My Dreams” : un futur classique garage tout désigné où un gimmick de guitare « INFERNAL » (notez les majuscules), comprendre groovy à souhait, ne lâche la bride à aucun moment de cette course. Riffeur d’une évidence géniale, Sohrab Habibion (ex-Edsel) sort de son instrument des sons dangereux, aussi décisifs que jouissifs. Et ce ne sont pas les sacrés dérapages contrôlés que sont “Pine On”, “Lillies In The Streets”, “Fake Kinkade” (pur concentré de Raw Power celui-là) ou encore la power pop finale de “Back and Forth” qui attiseront les flammes répandues depuis le premier riff. Sans compter qu’il faut du cran pour oser s’attaquer à un standard comme “Milk Cow Blues” après Robert Johnson, Elvis, Eddie Cochran et tant d’autres légendes… Là encore, les croque-morts s’en sortent avec les honneurs.

Avec ce baptême du feu, les éloquents Obits remettent les pendules rock à l’heure. Alors que les machines recommencent à pointer le bout de leur nez dans le rock après huit ans de suprématie analogique, I Blame You pourrait bien les enterrer à nouveau.

– Site officiel