Un disque malade, titubant et pourtant tellement élégant dans son hébétude. Un disque de grande ? Pas encore, mais un premier album juste brillant d’une jeune chanteuse qui nous accueille dans son désespoir envahissant.


Leah Hayes, jeune fille de 26 ans cachée derrière Scary Mansion, n’est pas née de la dernière pluie. Après avoir traîné son mal-être dans tout ce que compte la scène rock new-yorkaise et même parisienne (on l’a vue aux côtés de David Ivar Herman Düne période Satan Fingers), la voilà qui livre enfin son premier véritable album. Et Every Joke Is A Half Truth se révèle très rapidement comme un album au minimum mature, en tout cas maturé. Car pour livrer un tel marasme psychique, il faut avoir vécu autre chose que des rêves éveillés de starlette en devenir. En d’autres temps encore récents, il a fallu attendre le troisième album de Scout Niblett ou le deuxième de Cat Power pour atteindre un tel degré de noirceur assumée, et surtout pour la maîtriser.

Dès les premières distorsions de “Captan”, le plafonnier explose, un vent froid se lève emportant tout sur son passage pour ne plus laisser qu’un frêle corps de poupée brune brisée, dont seules les lèvres seraient encore dotées de vie. Quand survient alors “Go to Hell”, le vent a disparu et le seul souffle que l’on entend est celui qui s’échappe de cette même bouche, à peine épaulé par une guitare en apesanteur.
Dans un dénuement qui frise parfois l’apostasie musicale, Leah Hayes livre ses textes sombres et douloureux dans un feulement rauque, le chant s’échouant dans un ressac incessant d’arpèges squelettiques, dans une écume de violon malingre — “Scum Inside”, “New Hampshire” — ou dans le pincement maladroit du Thunderstick, un intrument des Appalaches murmurant sa solitude — “Intro”, “Shame”, “Unwise”. Ou alors, le blues vu par la chanteuse ne s’exhibe que dans une nudité crasse, transpercé par les coups de butoir de la batterie de Ben Shapiro (transfuge de Asobi Seksu) — la mordante “Sharkish Sea”. Mais toujours une place déterminante laissée aux silences, aux respirations, dans ce besoin permanent d’oxygène qui ouvre des champs de réflexion peu communs dans un disque de rock, aussi lo-fi soit-il. Scary Mansion peint un tableau d’une noirceur insondable mais jamais caricaturale tant Every Joke… transpire le don de soi, la catharsis ultime. Ce disque n’est pas de Leah ayes, il EST Leah Hayes. Soit précisément ce que l’on avait ressenti sur des albums aussi essentiels que What Would Community Think et Moon Pix, deux des trois chefs-d’oeuvre (avec You Are Free) de Cat Power à qui on pense très (trop peut-être) souvent.

Finalement, en quelques pincements de cordes (vocales, instrumentales et sensibles), une pincée de batterie et quelques fragments de bidouille, il est toujous possible de livrer une musique vraie (qualificatif tellement galvaudé par ailleurs), crue, sans aspérité et sans autre aspiration que de provoquer une émotion brute.

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