Contrairement à ce que voudrait nous faire croire les Hadopistes, le téléchargement en toute liberté a du bon. La preuve avec ce quintet brooklynois adepte d’une americana lo-fi vibrante.


L’album en question n’est pas vraiment une nouveauté. Certains lecteurs aux antennes bien dressées se le sont déjà procuré. Et sans débourser le moindre centime, puisque Survival, disque surgi d’un groupe parfaitement inconnu, était en téléchargement libre depuis juin sur le site du label américain Catbird Records. Au dilemme posé d’offrir son art ou bien sombrer dans l’anonymat abyssal, les brooklynois de Forest Fire n’ont manifestement pas tergiversé. Un pari qui s’est avéré payant (façon de parler) : cette braderie symbolique a connu un certain écho médiatique et surtout, nous a rendus riche de bonheur l’été dernier. Repéré tout d’abord par nos éminents confrères de Millefeuille (bien avant d’autres, un détail, mais bon…), c’est désormais le label Talitres qui prend le relais et se charge de sa distribution « matérielle » sur l’hexagone. Evidemment, l’album n’est plus téléchargeable à l’oeil, ce n’est pour autant pas une raison de passer à côté de ce petit bijou d’americana bastringue.

Forest Fire cuisine une country à la fois hirsute et criante (crue ?) de vérité. Foisonnante d’abord par sa multitude d’instruments : outre une lap steel et tout le barda folk traditionnel, il s’y négocie un trafic illicite de synthétiseurs, petites boîtes à rythme bon marché, cuivres sous acides, percussions et programmations electro incrustées… Le visuel invite d’ailleurs à palper cette agitation collective un brin désordonnée : la chaleur d’un salon improvisé en studio d’enregistrement, couvé par quelques couvertures froissées au premier plan. On prend vite la température ambiante. Pas de méprise pourtant à la vue de cette pièce mal rangée, Forest Fire incarne tout ce qu’il y a de plus intègre et artisanal dans l’americana. “I Make Windows” qui ouvre justement le bal, ferait un slogan hippie plus vrai que nature, certifié 68. Rayonnant comme un rêve californien.

Difficile à croire que Survival ait été enregistré dans cinq villes différentes. Au lieu d’avoir le sentiment d’être balloté de déménagements en déménagements impersonnels, rien ne sent le renfermé, bien au contraire. On s’y trouve à l’aise comme chez soi, avec en sus le privilège d’assister à un concert d’appartement (malgré les cartons). C’est qu’entre chaque piste, on entendrait presque les pas d’un spectateur faire grincer le parquet de la pièce bien chauffée… Chez Mark Thresher, Nathan Delffs, Adam Splittler et Myisha Battle, les chansons s’épanouissent avec le renfort de camarades de passage innombrables à tel point qu’on ignore qui est crédité sur quoi. Les idées fusent à la vitesse de jams lancées sur des thèmes improbables : greffer le Velvet Underground narcotique à quelques dérivations jazzy (“Promise”) ; une autre ballade pastorale, “Echoes Coming”, convoque les poussées de créations ludiques du White Album, fermentées autour d’une mélodie insidieuse qui squatte sans vergogne notre mémoire.
N’écartons pas “Fortune Teller”, sorte de single en « working process » vissé sur un sample percussif primitif, réunissant tous les ingrédients d’une pop song énorme… Les Cold War Kids, un peu en perte de vitesse sur leur second album, auraient pris trente ans d’un coup en écoutant cette chanson. Ces prédictions sentimentales secouent, engagent une conversation imaginaire, des confidences poétiques sur le doute éternel et les coeurs rejetés (« I’m gonna ask you, Be my wife »)… Quelques pistes plus loin, “Thru My Gloves” confirme que cette prose assassine n’était pas simplement une balle perdue. Survival est de cette race d’album où il se produit un accident magnifique qu’on ne saurait expliquer.

Une question cependant pour finir. Pourquoi ne pas avoir embelli cette édition de quelques inédits ? D’autant qu’il manque un titre par rapport à la version initiale téléchargée, la belle ballade en état d’ébriété “She’s Building Something Out Of Me”. Neuf titres, c’est un peu court… et nous avons encore faim.

– En écoute : « Fortune Teller »

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