Jusqu’à présent les enregistrements d’Avishai Cohen n’étaient guère parvenus à nous passionner, suscitant tout au plus un intérêt poli, toujours à la limite de l’indifférence. Ce sixième album, fraîchement signé sur l’historique label Blue Note, a au moins le mérite d’aiguiser la lame tranchante de notre opinion, tant il nourrit un mécontentement tenace dont il sera désormais difficile de contrarier l’ascendant. Arrivé sans doute à un moment charnière de sa carrière, le contrebassiste israélien a manifestement éprouvé le besoin, avec l’explicite Aurora, de revenir à ses racines. Un voyage dans le temps et l’espace décliné en douze étapes où se mélangent des compositions originales du musicien, des morceaux traditionnels et une chanson judéo-espagnole, “Alfonsina y el Mar”, signée Ariel Ramirez/Felix Luna. Qui dit chanson, dit chant, et c’est là la nouveauté essentielle de Aurora : le contrebassiste s’est mué sur la plupart des titres en chanteur, maîtrisant aussi bien l’hébreu, l’anglais ou le ladino. Mais s’il atteste de qualités vocales indéniables, parfois conciliées à celles de Karen Malka, son expressivité s’avère néanmoins par trop linéaire pour vraiment émouvoir. Une retenue vocale (apparentée à une certaine forme de pudeur) compensée par la variété des propositions musicales, qui échoue là aussi à convaincre : oscillant de la musique arabo-andalouse à la pop, du classique au folk hébraïque, l’album dessine en fait les grandes lignes d’un jazz worldisant du pire effet. Dans son refus de fixer son propos en embrassant une pluralité de couleurs instrumentales et mélodiques, Cohen, loin de donner à entendre les contrastes enrichissants d’un monde de musiques, procède au contraire à un lissage formel (pauvreté des arrangements, format et nivellement pop simplistes) qui voit la surface policée de son approche empêcher tous reliefs et altérité de se déployer, condition nécessaire à un échange musical qui ne serait pas réduit à un dialogue transfrontalier stérile. Sur Aurora, le désir de séduction, le souci du travail bien fait et la préciosité du métissage débouchent sur la sensation d’un dommageable surplace.

– Le site d’Avishai Cohen

– « Shir Preda »où Avishai Cohen joue du… piano :