Second album du Suédois en forme de balade inventive et mélancolique ou comment la virtuosité se donne à tous.


Cela faisait déjà 3 ans que Peter Von Poehl était parti en tournée accompagner les mélodies suaves de son premier album d’une pointe de vie et conférer un corps à cette oeuvre si bien arrangée. Baguenaudant en globe trotter de la scène française comme il l’est depuis ses débuts avec le label Tricatel, il s’est encore arrêté en chemin pour faire la première partie de Phoenix, de Air, ou encore pour jouer sur l’album de Vincent Delerm. Il revient de ce long périple avec un nouvel album, et en aventurier nonchalant, il surprend par ce titre en forme d’appel au secours : May Day. Etonnant appel de détresse alangui et joyeux, qui, au fur et à mesure des écoutes, avère le double sens du jeu de mots et la collusion intime des émotions contradictoires qui forgent la teneur délicate du disque : c’est autant les voyages ratés, les messages égarés, la solitude forcée, l’esseulement accablé et les attentes déçues que le plaisir des rencontres, le scintillement des instants heureux, les liaisons intenses et l’espoir des journées ensoleillées qui habitent cet album. May Day : est à la fois le signal d’une tristesse fébrile et la célébration du printemps.

Album pléthorique, accumulant les styles, convoquant les instruments (flûtes diverses, cuivres, violons et violoncelles, xylophone, trompette…), comme si l’orchestre était toujours à portée de main. Chaque ouverture impose Peter Von Poehl en maestro capable de démultiplier les sonorités et les tons, les variations et les influences : des Beatles pour les mélodies aux rythmiques davantage chaloupées des Beach Boys, et entre Scott Walker et Burt Bacharach pour la précision et l’accumulation des arrangements. Et sa voix, unique.

L’ouverture de l’album a la précipitation des départs en vacances, l’innocence et l’ardeur de la traversée des contrées qui nous séparent des destinations espérées, le souffle du relâchement en des espaces bucoliques, “Parliament” expire le mouvement, suggère le transit, appelle la transition, la mise au vert. Ainsi qu’une respiration le titre suivant, “Dust of Heaven”, paraît reprendre son souffle, entourée par les plaintes d’une trompette isolée exhibant une joie fatiguée, les inflexions de la voix se font légèrement plus essoufflées et la dynamique descendante comme l’inéluctable enveloppement par le sommeil. “Forgotten garden”, vibrations insistantes d’un instrument à cordes qui scanderont régulièrement le titre, alors que quelques choeurs, quelques arpèges, quelques notes de clavier accompagnent dans les hauteurs le chant qui exalte des lieux disparus, et qui suspend le vol du temps pour demeurer en des espaces oniriques rares.

Comme une constante la voix semble ondoyer, sinuer, tour à tour vecteur de fluidité (“Moonshot Falls”) et de langueur (“Mexico”), elle produit le phénomène surprenant de paraître jouer avec la lumière, le clair-obscur et ainsi être le reflet porté des mélodies.
Certes, on pourra trouver que ce jeu des nuances manque d’éclat et d’audace et que Peter von Poehl s’est mué en aquarelliste alors que son talent de compositeur et d’arrangeur lui aurait permis d’embrasser les territoires de l’abstraction et des défigurations mélodiques. Or, cette impression s’évanouit dès que l’on s’attarde sur les infimes variations, les enlacements innombrables de l’orchestration, découvrant en Peter Von Poehl un doux explorateur, attentif et délicat.
En ce sens, l’apogée de l’album est “Elisabeth”. Ici, les notes sont d’abord comme des échos lancinants, des ondes, des flux et des reflux de sons lointains comme des fils d’Ariane tendus non pas pour nous guider mais pour nous perdre. Inexorablement la scansion du rythme s’amplifie et la voix angélique flotte en rendant hommage à une rencontre éphémère et éternelle, en s’infiltrant entre le tintement cristallin de quelques arpèges et le murmure discret d’un choeur, et s’ordonnant alors comme une prière murmurée mais fervente soutenue par une flûte traversière, ou plutôt ici traversante. Chaque instrument succède alors à un autre conférant à “Elisabeth” un élan continu, infini et inépuisable.

May Day se déploie ainsi entre les réminiscences et les désirs, entre les influences musicales et la singularité de Peter Von Poelh, partageant avec nous une identité mosaïque, nous incluant dans sa chorale et l’imposant comme un atypique et précieux compositeur-voyageur-interprète.

Site officiel